(Almaty) Le président sortant du Kazakhstan, Kassym-Jomart Tokaïev, a été largement réélu dimanche, à la tête du plus grand pays d’Asie centrale, qui a vécu une année noire entre émeutes sanglantes et impitoyable lutte des clans.

Cet homme de 69 ans arrivé au pouvoir en 2019 a obtenu 81,31 % des voix, d’après les premières informations données lundi par la Commission électorale.

Le dauphin de M. Tokaïev est le vote « contre tous », crédité d’entre 3,40 % et 5,2 % des voix d’après ces sondages.

« Le peuple m’a clairement exprimé sa confiance et nous devons la justifier », s’est félicité M. Tokaïev.

Riche en ressources naturelles et situé au carrefour d’importantes routes commerciales, le Kazakhstan a plongé dans le chaos en janvier lorsque des manifestations contre la vie chère ont dégénéré en émeutes, avant d’être brutalement réprimées. Bilan : 238 morts.

Le pays reste traumatisé par cette crise et, signe que les tensions persistent, les autorités ont annoncé jeudi avoir arrêté sept partisans d’un opposant en exil accusés de fomenter un « coup d’État ».

Ce scrutin anticipé était pour M. Tokaïev, 69 ans, un moyen de consolider son pouvoir. Ce diplomate de formation s’est mué cette année en dirigeant implacable, faisant tirer sur les émeutiers en janvier, arrêtant des proches de son prédécesseur et mentor Noursoultan Nazarbaïev, puis tenant tête au président russe Vladimir Poutine.

« Pas de monopole »

Cette élection s’inscrit dans la longue tradition des scrutins joués d’avance au Kazakhstan, à l’image des précédentes présidentielles : 71 % des voix pour M. Tokaïev en 2019 et 98 % en 2015 pour M. Nazarbaïev.

PHOTO FOURNIE PAR LES SERVICES DE PRESSE DE LA PRÉSIDENCE DU KAZAKHSTAN, VIA REUTERS

Le dirigeant sortant Kassym-Jomart Tokaïev

Malgré ce score écrasant et l’absence de concurrence, M. Tokaïev a estimé que cette campagne avait été « équitable et ouverte ».

À Astana et Almaty, les deux plus grandes villes du pays, l’AFP a vu plusieurs votants se prendre en photo devant les bureaux de vote, nombre d’électeurs invoquant l’« obligation » de montrer lundi la photo à leur employeur.

Une quinzaine de personnes ont manifesté à Almaty pour réclamer des élections libres et ont toutes été arrêtées par la police, a constaté l’AFP.

Malgré les affiches appelant les électeurs à « faire leur choix » pour les sept prochaines années, les cinq opposants de M. Tokaïev faisaient office de faire-valoir.

Arrivé au pouvoir en 2019 après la démission surprise de l’omnipotent Nazarbaïev, M. Tokaïev a officiellement entrepris de couper le cordon à la faveur de la crise de janvier, après avoir longtemps été considéré comme l’homme de main de son prédécesseur.

« Le principal est qu’il n’y ait pas de monopole au pouvoir », avait déclaré M. Tokaïev après avoir voté.

Mais M. Nazarbaïev, à la tête du Kazakhstan pendant trois décennies, a été le premier à le féliciter pour sa réélection, « preuve incontestable de la foi inébranlable du peuple dans (ses) réformes […] et louant son attitude lors des heures critiques pour le pays », en référence à janvier.  

Le président candidat avait fait campagne en portant son projet visant à créer un « Nouveau Kazakhstan », plus démocratique et moins inégalitaire. Mais les difficultés économiques persistent, tout comme les réflexes autoritaires.

Et selon le Fonds monétaire international, les tensions sociales, à l’origine des manifestations de janvier, pourraient réapparaître.

« Perte de temps » 

Depuis le début de l’invasion russe de l’Ukraine, M. Tokaïev s’efforce de resserrer les liens avec la Chine, mais aussi avec l’Europe, en contrepoids à l’influence russe.

Ces derniers mois, il a reçu la visite des chefs d’État russe, turc et chinois, ainsi que de hauts responsables européens, et même du pape François.

Et les promesses d’ouverture démocratique et de réformes économiques trouvent un écho dans l’électorat.

Comme Amina Aïtjanova, professeure de 46 ans, qui estime que le président Tokaïev a « extrêmement bien géré la situation » après les évènements de janvier.

Mais cette élection censée ouvrir l’ère du « Nouveau Kazakhstan » a donné un sentiment de déjà-vu, avec un paysage politique déserté, une opposition de façade et les pressions des autorités.

De quoi laisser nombre de Kazakhs désabusés, comme Alia Bokechova, étudiante de 19 ans à Astana. « C’est une perte de temps, on sait déjà qui va gagner », dit-elle à l’AFP.

Avant le scrutin, les observateurs électoraux internationaux de l’OSCE ont regretté que leurs recommandations « relatives aux libertés fondamentales et aux conditions d’éligibilité et d’inscription des candidats » soient « restées sans suite ».