La fatigue de son visage est accentuée par le sérieux de son uniforme d’officier. Les médailles sont bien alignées à droite. À gauche, le bras est nu et un bébé boit au sein.

En juin, le Mémorial de guerre de l’Australie a remis un prix à La promotion, un tableau d’une militaire retraitée qui met en scène une officière en train d’allaiter.

PHOTO FOURNIE PAR LE MÉMORIAL DE GUERRE DE L’AUSTRALIE

La promotion d’Anneke Jamieson

« J’ai servi pendant 20 ans et j’ai été une mère pendant 10 de ces années », explique l’auteure du tableau, Anneke Jamieson, jointe en Australie. « Ma carrière a suivi une voie différente de celle que j’avais imaginée avant d’avoir des enfants. Quand je suis retournée au travail après mon premier accouchement, j’étais une personne et une officière très différente. »

Le tableau a été choisi de façon unanime par le jury de ce prix récompensant des productions artistiques d’anciens combattants. « C’est une image très puissante, dit Laura Webster, directrice artistique du Mémorial de guerre. On parle beaucoup des défis de la maternité pour les professionnelles, de l’équilibre entre le travail et la vie familiale. Mais c’est encore plus frappant quand c’est une militaire. Ça me touche beaucoup, parce que j’ai moi-même des jumeaux de 5 ans. »

Les plus grandes répercussions de la maternité sur la carrière de Mme Jamieson ont été la réduction du temps qu’elle a ensuite pu consacrer à son travail et à ses soldats.

L’armée, c’est un choix de vie. Quand on est officier, il faut toujours être présent pour ses hommes. Quand on travaille au QG, on s’arrête de travailler quand une tâche est terminée. Mais quand on a des enfants, on doit limiter son investissement au travail pour leur réserver un bloc de temps impossible à comprimer.

Anneke Jamieson, auteure du tableau

Après son retour au travail il y a 10 ans, elle a choisi un poste au quartier général (QG). « J’ai été chanceuse, j’ai pu prendre sept mois de congé de maternité, et je pouvais déposer mon bébé à 6 h 30 chez une amie qui amenait nos enfants à la garderie. Mais quand je devais partir à 16 h 30, je me sentais très coupable envers mes collègues qui restaient jusqu’à 18 h, 19 h ou plus tard. »

PHOTO FOURNIE PAR ANNEKE JAMIESON

Anneke Jamieson

Pour ses deux autres enfants, Mme Jamieson a pris un an de congé de maternité et après son dernier, qui a 4 ans, elle est retournée au travail trois jours par semaine.

Paternité

Ce dilemme n’existe-t-il pas aussi pour les pères ? « Avant notre premier bébé, mon mari et moi avions convenu que nous alternerions les postes exigeants, pour faire progresser nos deux carrières. Mais chaque fois que c’était à mon tour de retourner au front, je laissais mon mari le faire et je choisissais un poste qui me permettait de passer plus de temps avec mes enfants. »

A-t-elle été en zone de guerre ? « J’ai eu quelques postes en Afghanistan avant mon premier bébé, mais pas depuis. Mon mari a eu des postes en Afghanistan depuis, en revanche. »

PHOTO FOURNIE PAR ANNEKE JAMIESON

Anneke Jamieson lorsqu’elle était officière dans l’armée

Son mari est toujours dans l’armée et elle se consacre à son art. Elle a commencé à peindre après la naissance de son dernier enfant. Son modèle pour le tableau a été une amie qui n’est pas dans l’armée, pour éviter les ragots.

« Quand j’ai lu ma déclaration d’artiste devant mon tableau, la veille du vernissage, je me suis mise à pleurer, dit Mme Jamieson. Même si j’ai fait la paix avec la maternité, j’ai toujours un pincement au cœur en pensant à la carrière militaire dont je rêvais. »

Travail invisible

Quand La Presse lui a demandé son avis sur le tableau d’Anneke Jamieson, Raphaëlle Petitjean a pensé au « travail invisible » des femmes. « C’est encore plus vrai dans les milieux traditionnellement réservés aux hommes, comme l’armée, dit la directrice du Mouvement Allaitement du Québec. Une femme qui devient mère ne cesse pas d’être une femme, c’est une chose qui s’ajoute. »

Vêtements et salles d’allaitement au Canada

PHOTO TIRÉE DU COMPTE FACEBOOK DE L’ARMÉE CANADIENNE

Un exemple d’un chandail d’allaitement approuvé par l’armée canadienne

Raphaëlle Petitjean a souligné à La Presse deux récentes annonces de l’armée canadienne. L’an dernier, le ministère de la Défense a décrété que chaque commandant doit créer au moins une salle d’allaitement par groupe de 400 employés, pour que les mères puissent tirer leur lait confortablement. Et les chandails d’allaitement, qui comportent des fentes sous les seins pour pouvoir tirer le lait sans enlever son haut comme dans le tableau d’Anneke Jamieson, ont aussi été approuvés par l’armée.

En savoir plus
  • 16 %
    Proportion de femmes dans l’armée canadienne
    source : statistique canada
    20 %
    Proportion de femmes parmi les officiers de l’armée canadienne
    source : statistique canada