L’intervention inusitée des forces policières équatoriennes dans l’ambassade du Mexique à Quito pour arrêter un politicien soupçonné de corruption continue, une semaine plus tard, de faire des vagues diplomatiques qui ne sont pas près de disparaître.

Sebastian Hurtado, analyste politique pour l’agence Prófitas, établie à Quito, note que le président de l’Équateur, Daniel Noboa, « doit projeter une image de force » face à la population équatorienne et semble peu capable, dans ce contexte, d’esquisser un mea culpa capable d’apaiser les tensions.

Le président mexicain Andrés Manuel López Obrador, qui décrit l’entrée des forces de l’ordre dans l’ambassade comme un acte « autoritaire » violant la souveraineté de son pays et le droit international, promet de son côté de multiplier les recours.

M. Hurtado note que le dirigeant mexicain se sent « galvanisé » par le soutien international reçu depuis quelques jours et entend tout faire pour « punir » le président Noboa.

Une plainte a notamment été déposée jeudi à la Cour internationale de justice au lendemain de la diffusion d’une vidéo montrant l’irruption des forces policières dans l’ambassade et leur face-à-face avec un employé indigné.

Il a été écarté manu militari par les policiers, qui sont repartis en portant la cible de l’opération, l’ex-vice-président équatorien Jorge Glas.

Immunité diplomatique contre corruption

L’homme de 54 ans, qui a déjà passé cinq ans en prison après avoir été jugé coupable de détournement de fonds en 2017, s’était réfugié à l’ambassade en décembre pour échapper à une inculpation dans une nouvelle affaire de corruption.

Les autorités équatoriennes ont demandé à Mexico de leur remettre le fugitif sans infléchir la position du chef d’État mexicain, qui est proche de l’ex-président équatorien Rafael Correa, sous lequel servait M. Glas.

PHOTO ALFREDO ESTRELLA, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le président du Mexique, Andrés Manuel López Obrador

La situation s’est envenimée la semaine dernière lorsqu’Andrés Manuel López Obrador a déclaré que l’élection de Daniel Noboa en 2023 avait été facilitée par l’assassinat d’un candidat, Fernando Villavicencio. Ce journaliste et militant avait reçu des menaces de mort d’un gang.

Il n’est pas allé jusqu’à suggérer que le président Noboa était lié à ce meurtre, mais il a dit que c’était lui qui en avait profité.

Sebastian Hurtado, analyste politique pour l’agence Prófitas

Le président équatorien a réagi avec colère en annonçant l’expulsion du pays de l’ambassadrice du Mexique. Mexico a rétorqué vendredi dernier en annonçant que M. Glas s’était vu accorder l’asile politique. Le coup de force de Quito a suivi.

Ces rebondissements ont été évoqués cette semaine par le gouvernement équatorien lors d’un sommet des pays de l’Organisation des États américains (OEA) visant à faire le point sur la crise.

L’Équateur maintient que le Mexique a contrevenu au droit international en acceptant d’accueillir un individu cherchant à échapper à la justice.

La plupart des intervenants à la réunion ont plutôt fustigé l’entrée de la police dans l’ambassade en la décrivant comme une grave atteinte à l’ordre diplomatique.

Même les États-Unis, qui sont un proche allié de l’Équateur, ont fini par faire des remontrances à Quito, note M. Hurtado, qui voit un lien entre l’approche musclée de M. Noboa et la tenue le 21 avril prochain d’un important référendum dans le pays.

Gains politiques

Le gouvernement équatorien demande à la population d’avaliser une série de réformes qui permettraient aux forces de sécurité d’intervenir avec moins de contraintes face aux groupes criminels actifs dans le pays.

M. Noboa tire une partie de son inspiration des actions du président salvadorien Nayib Bukele, qui a fait mettre en prison des dizaines de milliers de membres présumés de gangs en écartant les critiques relativement aux risques d’atteinte aux droits de la personne.

M. Hurtado note que les propositions soumises à référendum en Équateur ne visent pas, de prime abord, à donner plus de pouvoirs au président Noboa en favorisant un virage autoritaire semblable à celui de son homologue salvadorien.

Elles pourraient cependant le servir politiquement en lui permettant de faire des gains dans la lutte contre les trafiquants de drogue qui utilisent le pays comme point de passage pour l’exportation de leurs produits vers l’Europe.

Plusieurs ont des liens avec des cartels mexicains, ce qui complique la tâche des autorités, qui risque d’être rendue encore plus difficile par l’érosion des relations diplomatiques avec Mexico.

L’entourage de Daniel Noboa aurait déjà en main des sondages suggérant que l’intervention à l’ambassade est bien vue par la population locale et pourrait le servir dans le référendum et sa quête de réélection l’année prochaine.

Les gens bien informés comprennent que l’intervention dans l’ambassade constitue une erreur majeure sur le plan international. Mais je pense que la majeure partie des Équatoriens veulent des actions musclées et des gens derrière les barreaux.

Sebastian Hurtado, analyste politique pour l’agence Prófitas

Le hic, relève l’analyste, est que les politiciens équatoriens tendent, lorsqu’ils arrivent au pouvoir, à s’en prendre à leurs prédécesseurs pour les affaiblir.

Le système judiciaire n’est pas véritablement indépendant, ce qui empêche de voir clair dans la teneur des allégations de corruption mises de l’avant, note M. Hurtado.

L’ex-président Correa, qui vit en Belgique, a été condamné en 2020 par contumace pour détournement de fonds publics, une conclusion qu’il rejette.

Sur son fil X, il a dénoncé l’arrestation de son ex-vice-président comme une « persécution politique » de même acabit et assimilé l’intervention dans l’ambassade à une « invasion ».

Rendez-vous mardi

Le sommet virtuel des présidents latino-américains pour débattre et condamner l’intrusion de la police équatorienne dans l’ambassade du Mexique à Quito, prévu vendredi, a été reporté à mardi, a annoncé la cheffe de l’État hondurien qui préside la Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes (CELAC).

Ils examineront une proposition visant à demander à Quito de « promouvoir le dialogue pour normaliser les relations avec le Mexique » et, dans le cas contraire, « adopter des positions politiques [contre l’Équateur], qu’elles soient conjointes, bilatérales ou au sein d’organisations internationales pour l’obliger à s’exécuter ».

Les responsables politiques discuteront également d’une résolution de « condamnation ferme de l’État équatorien pour l’entrée illégale dans l’ambassade du Mexique à Quito, l’utilisation indue de la force et la violation du principe de l’inviolabilité des missions diplomatiques » pour « l’enlèvement » de l’ancien vice-président équatorien Jorge Glas.

Agence France-Presse