Assassinats à la clé, le crime organisé resserre son emprise sur la politique dans ce petit pays d’Amérique du Sud

Une campagne sanglante

Quatre assassinats politiques en moins de deux mois. À quelques jours d’une élection présidentielle anticipée et désormais appréhendée, l’Équateur est touché par une vague de violence inédite. Lundi, un responsable politique local a été tué dans la province d’Esmeraldas. En juillet, un maire et un candidat au Parlement sont tombés sous les balles. Le meurtre le plus retentissant demeure toutefois celui de Fernando Villavicencio, deuxième parmi les favoris au premier tour de l’élection présidentielle qui doit avoir lieu le dimanche 20 août. Villavicencio, 59 ans, a été tué de trois balles dans la tête le mercredi 9 août alors qu’il sortait d’une réunion politique. Ancien syndicaliste et ancien journaliste, il avait fait de la lutte anticorruption son cheval de bataille, et se disait dans la ligne de mire du crime organisé.

Si sa mort ne surprend pas, elle constitue un précédent historique à ce niveau et a jeté une douche froide sur la campagne. « Cela a causé un climat de peur et une grande incertitude dans la population », résume Esteban Donoso, Équatorien établi à Montréal.

L’impact sur le scrutin

Il pourrait être important. La victoire de la candidate de gauche Luisa Gonzalez (parti Révolution Citoyenne) semblait acquise jusqu’ici. Les sondages la plaçaient loin devant les sept autres candidats, avec plus du quart des voix et une possible victoire dès le premier tour. Mais la tendance pourrait s’inverser à la suite de l’assassinat de M. Villavicencio, croit Sebastian Hurtado, analyste politique pour l’agence Prófitas, établie à Quito.

Les enjeux de sécurité, de crime et de violence sont devenus le sujet central de cette élection. Les candidats perçus comme les plus capables d’affronter ce problème risquent de gagner des points, c’est-à-dire essentiellement des candidats de la droite qui mettent la sécurité à l’avant-plan.

Sebastian Hurtado, analyste politique pour l’agence Prófitas

Mme Gonzalez pourrait souffrir, par ailleurs, de ses liens étroits avec l’ancien président Rafael Correa. Exilé en Belgique dans la foulée d’un scandale de corruption révélé à l’époque par M. Villavicencio, M. Correa a tout fait pour discréditer l’ancien journaliste. Par conséquent, ses soutiens « seront blâmés, même s’ils n’ont rien à voir » avec sa mort, estime M. Hurtado.

La violence à la hausse

Pays de 18 millions d’habitants, l’Équateur est aux prises avec une explosion de violence sans précédent. En deux ans, le taux d’homicides est passé de 13,7 à 25,5 par 100 000 habitants. Cette augmentation fulgurante est essentiellement attribuable à l’expansion des groupes criminels, qui en mènent de plus en plus large. L’Équateur a pour voisins le Pérou et la Colombie, deux pays où la production de cocaïne est en constante augmentation. La faiblesse de l’armée et de la police, la fragmentation du paysage politique, l’accessibilité des ports de mer et la corruption grandissante ont offert un terreau fertile à la mise en place d’une plaque tournante pour le trafic de drogues. L’emprise des gangs se resserre chaque jour sur les institutions, au point où l’on parle désormais d’un narco-État en devenir. « Malheureusement, l’Équateur semble suivre la voie du Mexique et de la Colombie, résume M. Hurtado. Notre pays est mal préparé et mal outillé pour gérer ce genre de menace. Sans financement et sans l’aide significative de nos voisins et de l’international, je crains que la situation ne se détériore. » Solution rapide à un problème profond : le président Guillermo Lasso avait autorisé le port d’armes pour les civils au printemps dernier, une décision fortement critiquée par l’opposition, mais applaudie par une partie de la population.

Un défi politique

À la suite de l’assassinat de M. Villavicencio, l’état d’urgence a été instauré en Équateur pour 60 jours. Le premier tour du scrutin a cependant été maintenu, tandis que le second tour est prévu le 15 octobre. Le pays devrait avoir un nouveau président et une nouvelle assemblée d’ici la mi-novembre. Dix jours avant le premier tour, 50 % des électeurs se disaient encore indécis. Mais, quel que soit le vainqueur, le prochain chef de l’État sera assis sur une poudrière. La situation sera d’autant plus instable que son mandat s’annonce court : un nouveau scrutin est en effet programmé au début de 2025, date fixée bien avant que le président sortant, Guillermo Lasso, ne déclenche cette élection anticipée, après avoir dissous l’assemblée qui menaçait de le destituer. Ironie : M. Lasso n’est pas candidat à sa propre réélection.