Une réforme majeure du système électoral défendue par le président Andrés Manuel López Obrador suscite une importante levée de boucliers au Mexique, où nombre de détracteurs du politicien l’accusent de vouloir miner, à des fins partisanes, une institution essentielle pour la vie démocratique du pays.

Des manifestations ont eu lieu dans des dizaines de villes la fin de semaine dernière pour défendre l’Institut national électoral (INE), qui doit subir d’importantes coupes de budget et de personnel dans le cadre de la réforme en question.

De nombreuses personnes portaient des affiches demandant au gouvernement de « ne pas toucher à leur vote » et à l’INE, témoignant de leur conviction que le but premier des coupes est de faciliter la manipulation des élections à venir, y compris le scrutin présidentiel de 2024.

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Manifestation à Mexico contre la réforme du système électoral proposée par le président Andrés Manuel López Obrador, le 26 février

Le président mexicain – souvent désigné par l’acronyme AMLO – assure que la réforme va permettre de réaliser des économies substantielles tout en favorisant la tenue d’élections libres et crédibles.

Il accuse ses opposants politiques, et les Mexicains qui sont descendus dans la rue pour exprimer leur insatisfaction, de souhaiter le retour à la tête du pays de dirigeants corrompus liés aux cartels de la drogue.

Lila Abed, spécialiste du Mexique rattachée au Wilson Center, un institut de recherche de Washington, note que l’INE a joué un rôle essentiel dans le processus ayant permis au Mexique de se démocratiser après avoir été gouverné par un seul parti pendant 70 ans.

La réforme en cours va miner la capacité de l’institution à encadrer correctement les élections et découle en partie d’une « vendetta personnelle » du président López Obrador, qui n’a jamais digéré, dit-elle, d’avoir perdu l’élection de 2006 par moins de 1 % des voix. Il avait alors mis des mois à reconnaître le résultat du scrutin et avait accusé son adversaire, Felipe Calderón, de bénéficier de fraudes avec l’appui tacite de l’INE.

Réforme « inquiétante »

Tony Payan, un spécialiste du Mexique rattaché à l’Université Rice, au Texas, estime que la réforme de l’INE a pour objectif de garantir que le parti du président, Morena, conservera le pouvoir, notamment lorsqu’il terminera son unique mandat l’année prochaine.

« Il n’y a aucune raison valable de vouloir changer le système électoral en place », relève le chercheur, qui décrit le dirigeant mexicain comme un « autocrate ».

« À un certain moment, il faut nommer les choses telles qu’elles sont », tranche M. Payan, qui reproche au chef d’État mexicain d’avoir sciemment cherché depuis son arrivée au pouvoir en 2018 à miner les mécanismes de contre-pouvoir en place, notamment en attaquant journalistes et tribunaux.

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L’Institut national électoral (INE) subirait d’importantes coupes de budget et de personnel dans le cadre de la réforme.

Laura Macdonald, spécialiste de l’Amérique latine rattachée à l’Université Carleton, juge aussi « inquiétante » la réforme en cours et relève qu’elle pourrait s’avérer contre-productive à terme pour le président et son parti en mobilisant l’opposition.

Le chef d’État tente de centraliser le pouvoir et d’affaiblir certaines institutions démocratiques importantes en disant agir au nom des Mexicains les plus défavorisés, dit l’analyste, qui insiste sur la nécessité de ne pas dramatiser la situation à outrance.

« Certains critiques disent que le pays va devenir comme le Nicaragua ou le Venezuela, mais c’est manifestement une exagération », dit-elle.

Enjeux sociaux et diplomatiques

Les gouvernements précédents au Mexique étaient minés par la corruption et n’ont pas fait grand-chose pour améliorer le quotidien des plus pauvres, qui continuent, dit Mme Macdonald, à se reconnaître dans l’actuel président.

L’augmentation des dépenses sociales et la bonification récente du salaire minimum sont de nature à lui valoir des appuis, même s’il apparaît difficile à ce stade d’établir un bilan clair de l’effet de ses actions sur le plan économique, souligne la professeure.

D’importants problèmes demeurent par ailleurs en matière de sécurité publique en raison des cartels, ajoute Mme Macdonald, qui s’alarme du poids conféré à l’armée par le président dans la gestion de la situation.

Tony Payan pense que les visées « antidémocratiques » du chef d’État vont se buter à l’insatisfaction de la classe moyenne du Mexique, qui joue un rôle important dans les manifestations en cours.

Elles risquent aussi, selon l’analyste, d’entraîner de sérieuses pressions de l’administration américaine, qui s’est gardée de critiquer trop ouvertement le chef d’État mexicain par crainte de susciter ses foudres et de compliquer la collaboration des deux pays sur des dossiers épineux comme le trafic de drogue et l’immigration.

Le département d’État a souligné il y a quelques jours dans un communiqué qu’un système électoral « indépendant et bien financé » est nécessaire pour une « saine démocratie », tout en précisant que les États-Unis respectent la souveraineté du Mexique.

La sortie a déplu au président López Obrador, qui a apostrophé le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, lors d’une conférence de presse en le sommant de renoncer à ses pratiques « interventionnistes ».

Laura Macdonald note que ce type de discours touche une corde sensible dans la population mexicaine, qui entretient une grande méfiance face à Washington.

La chercheuse dit espérer que le prochain président, qu’il soit ou non issu des rangs du parti Morena, sera aussi sensible aux inégalités que son prédécesseur, mais s’éloignera d’une approche « populiste » qui alimente le clivage du pays.

Andrés Manuel López Obrador en quelques dates

13 novembre 1953 : Naissance à Tepetitán, dans l’État de Tabasco

1989 : Participe à la fondation du Parti de la révolution démocratique

1994 : Candidat au poste de gouverneur de l’État de Tabasco

1996 à 1999 : Président du Parti de la révolution démocratique

2000 à 2005 : Chef du gouvernement de la ville de Mexico

2006 et 2012 : Candidat à la présidence du Mexique, sans succès ; il est défait par Felipe Calderón et Enrique Peña Nieto, respectivement

1er juillet 2018 : Andrés Manuel López Obrador est élu président du Mexique, portant la gauche au pouvoir pour la première fois.