(Lima) Le Parlement péruvien a suspendu jusqu’à mardi le débat sur un projet de loi prévoyant la tenue d’élections anticipées dans une tentative de mettre un terme aux violentes manifestations qui exigent la démission de la présidente Dina Boluarte.

Le projet de loi soumis au vote du Parlement prévoit d’avancer les élections à octobre 2023, contre avril 2024 actuellement, mais rien ne dit que cela permettra de mettre fin aux manifestations qui secouent le pays depuis début décembre.  

« Sur disposition du président du Parlement de la République, la séance plénière se poursuivra le mardi 31 janvier à 11 h heure locale (et de l’Est) », indique un communiqué du Parlement après sept heures et demie de réunions pour essayer de trouver un consensus.  

« Pas un mort de plus, Dina démissionne maintenant », pouvait-on lire lundi sur une banderole géante déployée lors du défilé de centaines de personnes dans le quartier populaire de Huaycán, dans la banlieue de Lima.

« Les mobilisations vont continuer parce qu’il n’y a aucun signe que l’exécutif (Dina Boluarte) va démissionner », a assuré à l’AFP le dirigeant de la Confédération générale des travailleurs du Pérou (CGTP), Geronimo Lopez, qui a appelé à une marche nationale mardi sous le slogan « Dina démissionne maintenant ! ».  

Les manifestants bloquent en outre des axes routiers, et des dizaines de militaires se sont rendus lundi à Ica, à 250 km au sud de Lima, pour aider la police à débloquer l’autoroute Panamericana Sur qui dessert la région de Tacna, à la frontière avec le Chili.

Les barrages routiers ont provoqué des pénuries de produits de base et de carburant dans plusieurs provinces.

La mine péruvienne de Las Bambas, exploitée par la société chinoise MMG et qui fournit environ 2 % du volume mondial de cuivre, a annoncé qu’elle suspendrait son activité à partir de mercredi si les blocages se poursuivaient.

« Gagner la confiance »

Dina Boluarte a appelé dimanche soir dans un message télévisé le Parlement à avancer les élections afin de « gagner la confiance du pays en répondant à cette demande tant attendue du peuple péruvien ».  

Elle a fait savoir qu’en cas de vote négatif, elle présenterait deux projets de loi : un nouveau projet pour avancer le scrutin à octobre et un autre prévoyant que le futur Parlement prépare une réforme de la Constitution.

Le Parlement s’est déjà penché samedi sur une proposition d’élections anticipées présentée par le député Hernando Guerra Garcia, du parti de droite Fuerza Popular (FP). Mais le texte a été rejeté par 65 voix contre 45. La gauche avait insisté pour introduire un amendement prévoyant un référendum sur une Assemblée constituante, ce qui a contribué à l’échec du projet de loi.  

Le président du Parlement, José Williams, un militaire de droite à la retraite, qui remplacerait Mme Boluarte en cas de démission, a également appelé dimanche sur Twitter les parlementaires à « réfléchir de manière responsable à la décision qui devra être prise » lundi.

Pour la première fois à Lima samedi, une personne est morte lors de manifestations qui ont dégénéré en violences.  

Victor Santisteban, 55 ans, est décédé d’une fracture du crâne. « Nous voulons que justice soit faite », a déclaré à la presse Elizabeth Santisteban, sœur du défunt, dont les funérailles se tiennent lundi.  

Son décès porte à 48 le nombre de victimes depuis la destitution et l’arrestation le 7 décembre du président de gauche Pedro Castillo, accusé d’avoir tenté un coup d’État en voulant dissoudre le Parlement qui s’apprêtait à le chasser du pouvoir.

Depuis cette date, les manifestants demandent la démission de Dina Boluarte, la dissolution du Parlement et une Assemblée constituante.

Énorme fossé

La crise est aussi le reflet de l’énorme fossé entre la capitale et les provinces pauvres qui soutenaient le président Castillo, d’origine amérindienne, et voyaient son élection comme une revanche sur ce qu’ils ressentent comme le mépris de Lima.  

Avant son intervention télévisée, Mme Boluarte avait dans une interview au journal Trome « regretté » que le Parlement ne soit pas parvenu à un accord. « Je les exhorte à faire passer les intérêts du pays avant les intérêts des partis », avait-elle demandé.

« La vérité c’est qu’ils (les députés) jouent avec le feu. Leur vision est un déni total de la réalité. Ils aimeraient rester jusqu’en 2026 (fin de leur mandat) », estime l’analyste Giovanna Peñaflor d’Imasen, un cabinet de recherche sociologique et politique.

Selon une enquête de l’Institut d’études péruviennes (IEP), 73 % des Péruviens réclament des élections cette année. 89 % désapprouvent l’attitude du Parlement, discrédité dans l’opinion depuis des mois déjà.