(Buenos Aires) Une quinzaine de chefs d’État et de gouvernements d’Amérique latine, réunis en sommet à Buenos Aires autour du revenant brésilien Lula, ont été sommés mardi de « renforcer » l’intégration régionale, pour parer aux menaces sur leurs institutions, telles l’assaut qui a visé les lieux de pouvoir à Brasilia début janvier.

« Le Brésil est de retour dans la région », a lancé son président Luiz Inacio Lula da Silva au VIIe sommet de la Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes (Celac, 33 pays membres), que le géant sud-américain a formellement réintégré, trois ans après que Jair Bolsonaro, l’ex-président d’extrême droite, l’en a sorti.

« Le Brésil est prêt à travailler côte à côte avec vous tous », a poursuivi le dirigeant de gauche de 77 ans, qui trois semaines après le début de son 3e mandat (après deux de 2003 à 2010), avait choisi son voisin et allié, l’Argentine, et l’Amérique latine pour sa première sortie à l’international.

Au cours des dernières 48 heures, Lula s’est engagé a relancer l’intégration tous azimuts « bilatéralement, dans le Mercosur, dans l’Unasur, dans la Celac ».  

Citant ainsi une union douanière (le Mercosur, avec Argentine, Uruguay, et Paraguay) récemment au bord du déchirement, et une moribonde « Union sud-américaine » (Unasur) créée en 2008 à son initiative et celle du Vénézuélien Hugo Chavez.

Lula 2023 et l’Amérique latine, retour vers le futur ? Pas exactement.

Les appels à l’intégration régionale ont été assortis à Buenos Aires de mises en garde, à la lumière des menaces pesant sur les institutions, comme l’assaut de bolsonaristes sur les sièges de pouvoir à Brasilia le 8 janvier.

Le syndrome Brasilia

« Nous ne pouvons permettre qu’une ultra-droite récalcitrante et fascisante mette en péril les institutions de nos peuples », a lancé le président hôte, l’Argentin Alberto Fernandez (centre gauche),

« La démocratie court clairement un risque », avec « des secteurs de l’ultra-droite qui se sont redressés », a-t-il ajouté, citant notamment la « folie de Brasilia », ou l’attentat contre la vice-présidente argentine Cristina Kirchner en septembre.

« Nous devons renforcer les institutions de notre région […] convertir nos paroles en institutions et en fait, faire en sorte que l’intégration devienne réalité », a poursuivi M. Fernandez.

Créée en 2010 à l’initiative notamment de Lula, la Celac est un forum de dialogue et de coopération, nullement un organe d’intégration régionale aux délibérations contraignantes. Sur la durée, sa voix a peiné à être unie ou à peser, encore à ce jour dans des crises du continent, comme actuellement au Pérou.

« L’Amérique latine est en faillite du point de vue institutionnel […] Elle n’a pas réussi à s’insérer collectivement dans le monde », diagnostique pour l’AFP Ignacio Bartesaghi, expert en Relations internationales et intégration régionale de l’Université catholique d’Uruguay.  

Nonobstant, la Déclaration finale du sommet a mardi « affirmé l’engagement des membres de la Celac à avancer avec détermination sur un processus d’intégration ».

À tout le moins, la Celac « reste un espace vaste et hétérogène de pays d’Amérique latine à partir duquel des agendas minimaux ou d’intérêt commun pour la région peuvent s’établir », admet Bernabé Malacalza, analyste en Relations internationales au Centre national de recherche argentin Conicet.

« Club idéologique », jusqu’à quand ?

Et elle reste l’interlocuteur régional de référence de la Chine, ou de l’UE, sur des agendas de coopération.  

Mais le dernier sommet UE-Celac remonte à 2018… même si les deux parties se sont engagées fin 2022, au niveau ministériel, à viser un sommet birégional en 2023, quand l’Espagne aura la présidence de l’UE, au 2e semestre.

Le président uruguayen Luis Lacalle Pou a lui aussi exhorté ses homologues latino-américains à « passer à l’action » vers l’intégration, proposant une zone de libre-échange qui irait « du Mexique au sud de l’Amérique du Sud ».

Lacalle Pou, l’un des rares présidents de centre droit à un sommet penchant sensiblement à gauche, a mis en garde des forums de type Celac qui « s’ils veulent perdurer, ne peuvent garder ce caractère de club d’amis idéologiques ».  

Et il a appelé à se défaire d’« une vision hémiplégique » sur les atteintes aux droits humains ou institutions, en claire référence aux régimes du Venezuela, du Nicaragua et de Cuba. Des trois, seul le président cubain Miguel Diaz-Canel était présent et aura entendu, une énième fois, la région appeler à la fin de l’embargo américain sur l’île.

Après cette photo de famille latino-américaine recomposée, Lula, dont la diplomatie entend partout « reconstruire les ponts » post-Bolsonaro, va se tourner vers des rendez-vous autrement stratégiques : Washington, le 10 février, et Chine « après mars ».