La Colombie est considérée comme l’endroit le plus dangereux au monde pour les environnementalistes. Avec l’arrivée au pouvoir du premier gouvernement de gauche et ses promesses de politiques plus vertes, les écologistes ont espoir que le vent tourne.

« Nous avons reçu la nouvelle de l’élection du président [Gustavo Petro] et de la vice-présidente [Francia Márquez] avec beaucoup de joie, nous avions investi beaucoup de temps et d’énergie dans cette victoire », réagit au téléphone Jani Silva, défenseure environnementale et communautaire de la région de Putumayo.

PHOTO FOURNIE PAR AMNISTIE INTERNATIONALE

En décembre 2020, Amnistie internationale a fait de Jani Silva l’un de ses 10 cas emblématiques pour la violation des droits de la personne.

Représentante légale de l’Association pour le développement intégral et durable de la Perla Amazónica, dans le sud-ouest de la Colombie, la femme de 59 ans a reçu de nombreuses menaces de mort. Les deux dernières années ont été « très difficiles », confie-t-elle. Des coups de feu ont retenti près de chez elle. Amnistie internationale a mené une campagne pour demander sa protection.

La grand-mère de huit petits-enfants n’a aucun doute sur l’identité des gens qui veulent la faire taire.

Le groupe qui nous menace en ce moment, ce sont les Comandos de la Frontera. Ils viennent à nos assemblées, ils disent aux gens qu’ils veulent me tuer.

Jani Silva, défenseure environnementale et communautaire

Coca et vide politique

Cette milice est associée au trafic de drogue dans la région, où la coca est cultivée – alors que les militants comme Mme Silva tentent de convaincre les agriculteurs de se tourner vers d’autres cultures. Le travail de Jani Silva contre l’industrie pétrolière, notamment l’entreprise Amerisur, dérange également. Tout comme son refus de suivre les ordres dictés par ceux qui se sont arrogé le pouvoir sur ce territoire, souligne-t-elle.

L’accord de paix signé en 2016 entre le gouvernement et la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie, les FARC, a réduit la violence, mais d’autres groupes dissidents ont comblé le vide laissé dans les territoires qu’elles contrôlaient, et où le gouvernement colombien n’a pas réussi à asseoir son autorité – et à assurer la sécurité des citoyens.

Entre 2016 et 2021, l’organisme colombien Indepaz a recensé le meurtre de 611 défenseurs de l’environnement.

Un peu plus de la moitié d’entre eux appartenaient à des peuples autochtones. En janvier dernier, l’assassinat d’un écologiste de 14 ans a bouleversé l’opinion publique.

Biodiversité menacée

L’écosystème de la Colombie, pays reconnu pour sa grande biodiversité, est particulièrement menacé par la déforestation, résultat de diverses activités illégales : culture de la coca, grands élevages, extractions minières illicites, coupes de bois, mise en place de routes improvisées sans égard aux espèces sur place, explique au téléphone Nicola Clerici, professeur à la faculté de sciences naturelles de l’Universidad del Rosario, à Bogotá.

PHOTO LUISA GONZALEZ, ARCHIVES REUTERS

Le nouveau président de la Colombie, Gustavo Petro

Mais il y a aussi les industries licites, comme les pétrolières et les mines, qui contribuent aux problèmes écologiques, à l’insécurité et à la colère des populations, précise-t-il. Des sociétés d’autres pays, dont le Canada, ont des intérêts sur place.

Pétrole et charbon

Le nouveau président de la Colombie, Gustavo Petro, secondé par sa vice-présidente, l’écologiste Francia Márquez, a promis une transition énergétique pour s’éloigner du pétrole et du charbon, qui représentent environ la moitié des exportations, selon les chiffres du gouvernement. Il compte par exemple mettre fin aux exemptions pour ces industries.

Le défi est de taille.

« C’est un équilibre politique difficile à atteindre », estime au téléphone Alejandro Angel Tapias, chargé de cours sur l’Amérique latine à l’Université de Montréal et lui-même originaire de Colombie. « Disons que je ne pense pas que le pays va arrêter d’exporter du pétrole d’ici 2026. »

PHOTO MARIANA GREIF, ARCHIVES REUTERS

La nouvelle vice-présidente du pays, Francia Márquez, est une écologiste qui a elle-même été prise pour cible en raison de son militantisme.

D’autant que la Colombie reste divisée : si les écologistes ont accueilli avec joie l’arrivée d’un gouvernement sensible aux changements climatiques, d’autres se méfient de l’ex-guérillero devenu président du pays.

Pour bien des Colombiens, la gauche est synonyme des guérillas, du communisme et de la débâcle économique du voisin vénézuélien.

M. Angel Tapias voit d’un bon œil les négociations annoncées avec une guérilla dissidente des FARC, qui a refusé de signer l’accord de 2016. « Si c’est bien consolidé, ça va permettre d’avoir un contrôle territorial plus fort, qui fera valoir les politiques environnementales, la protection de la vie des leaders environnementaux », dit-il.

Protection de l’Amazonie

Jani Silva continue de naviguer d’un village à l’autre sur la rivière Putumayo pour rencontrer les 1200 membres de la réserve agricole de sa région. Les menaces et la mort d’autres militants ne l’empêchent pas de poursuivre son travail pour protéger les terres de cette région amazonienne, par des moyens légaux, avec des projets de conservation et en éduquant les populations. Elle est notamment accompagnée par des organismes étrangers pour accroître sa protection.

« Si j’arrête de faire ce que je fais, beaucoup de gens vont perdre espoir, soupire-t-elle. J’ai déjà essayé d’arrêter, et trop de gens ont aussi arrêté. »

Rectificatif
Une version précédente identifiait le nouveau président comme un ex-FARC ; il appartenait plutôt à la guérilla du M-19. Nos excuses.

En savoir plus
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    Nombre de meurtres de défenseurs des droits de la personne entre le 1er janvier et le 30 juin 2022 sur lesquels l’OHCHR doit enquêter.
    Source : Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (OHCHR)