(Medellín) Vingt-sept ans après sa mort, le narcotrafiquant colombien le plus célèbre du monde continue de faire parler de lui. Pablo Escobar avait construit un quartier baptisé à son nom pour les plus vulnérables de Medellín, en 1984. Aujourd’hui, les autorités veulent reconquérir ce territoire en y ouvrant un centre d’accueil pour les enfants.

Il s’agit de la première infrastructure publique du quartier depuis 37 ans. En étant plus présente, la mairie de Medellín espère changer l’image du quartier et éviter la glorification d’Escobar, dont la célébrité attire les touristes nationaux et internationaux.

Pour atteindre le quartier, il faut grimper les collines de Medellín et les rues étroites de la commune de Buenos Aires. Dès l’angle de la rue principale, des boutiques avec l’enseigne El patron (le patron) donnent le ton. C’était un des surnoms de Pablo Escobar. À quelques mètres, une fresque murale avec son portrait nous accueille avec les mots suivants : Bienvenidos al Barrio Pablo Escobar, aquí se respira paz (Bienvenue dans le quartier Pablo Escobar, ici on respire la paix).

Cette fresque est rafraîchie régulièrement par les artistes du quartier. À l’origine, les habitants avaient écrit les mots de bienvenue pour montrer leur désaccord avec le plan de la mairie, qui voulait rebaptiser le quartier.

Sur la terrasse qui surplombe la fresque, on trouve un autel pour prier le Saint Enfant Jésus d’Atocha (une représentation de Jésus habillé en petit enfant espagnol) et une pièce qui présente photos et souvenirs de la vie de Pablo Escobar. C’est le point central de la visite des touristes qui viennent, chaque jour, accompagnés par des agences de la ville.

PHOTO JORGE CALLE, COLLABORATION SPÉCIALE

Pablo Escobar a fait construire plus de 400 maisons qu’il a offertes gratuitement à des familles qui vivaient dans la décharge à ciel ouvert de Moravia à Medellín.

« Ce quartier est né avec l’association Medellín sin tugurios [Medellín sans taudis], fondée par Pablo Escobar, raconte Christian Escobar, un natif du quartier qui n’a aucun lien avec la famille du baron de la drogue. Les gens ne voulaient pas que l’histoire l’oublie. Cela ne veut pas dire qu’on glorifie Escobar ou son mode de vie. Les habitants du quartier n’ont rien à voir avec lui. Mais beaucoup d’habitants lui resteront éternellement reconnaissants, parce qu’il leur a offert une maison et les a sortis de la rue. »

Le Robin des Bois colombien ?

C’est bien le sentiment de Josefina Londoño Lopez, qui habite sa maison depuis 38 ans. « On est arrivés ici avec mon mari et mes enfants en 1984, à la hâte. Il se disait que l’État voulait détruire les maisons parce que Pablo Escobar les avait construites et qu’il n’avait pas la permission. On n’avait qu’une petite fiche avec le nom de mon mari et le mien. La maison n’était pas terminée. Il manquait la porte et les fenêtres. On a dormi là, entourés par l’armée et en bouchant les trous avec du carton. »

Aujourd’hui, à 67 ans, elle y vit toujours avec sa fille et sa petite-fille.

PHOTO JORGE CALLE, COLLABORATION SPÉCIALE

Josefina Londoño Lopez, habitante du quartier Pablo Escobar, a reçu une maison construite par le narcotrafiquant en 1984.

Pour moi, Pablo Escobar est comme un père. Qui d’autre m’a offert une maison ? Après toutes ces années de travail acharné ? Pablo nous a sortis de la décharge à ciel ouvert où on vivait. Je ne dis pas que c’est un homme qui n’a fait que du bien. Il n’était pas parfait. Mais malgré le mal, il a eu ce geste envers les plus pauvres. Seul Dieu peut nous juger.

Josefina Londoño Lopez, habitante du quartier Pablo Escobar

Plus de 400 maisons ont été offertes gratuitement aux habitants de l’ancienne décharge de Moravia.

Le chantier du nouveau départ

Depuis plusieurs mois, le bruit de broyeuses et de pelleteuses résonne dans le quartier. Un centre d’accueil pour enfants est en train d’être construit. Il sera terminé au plus tard en mars 2022. Le bâtiment de trois étages accueillera 300 enfants de 0 à 5 ans. Il y aura des salles de jeux, une crèche, un jardin et une cafétéria.

Baptisé « le grand départ pour renaître » après un vote des habitants, ce centre a coûté plus de trois millions et demi de dollars. C’est la première infrastructure publique construite dans ce quartier depuis 37 ans.

PHOTO JORGE CALLE, COLLABORATION SPÉCIALE

Wberney Zabala, représentant de l’action communale du quartier Pablo Escobar

Wberney Zabala, représentant de l’action communale du quartier Pablo Escobar, explique que ce centre représente l’avenir.

« Les enfants ont toujours entendu parler de Pablo Escobar. Beaucoup d’habitants n’ont que son nom à la bouche. C’était donc notre unique référent jusqu’à présent. Désormais, ils auront une autre référence, une nouvelle ouverture sur le monde culturel et technologique. Ce centre montre que l’État investit dans notre avenir, qu’on ne sera plus discriminés, qu’on n’est plus abandonnés à notre sort. Cela signifie qu’on fait enfin partie de la ville de Medellín. »