(Bogota) La Colombie est entrée mercredi dans sa deuxième semaine de manifestations contre le gouvernement de droite du président Ivan Duque, lequel a dénoncé un « vandalisme violent » et proposé un dialogue, qui ne devrait toutefois pas débuter avant plusieurs jours.

Plusieurs milliers de personnes, syndicalistes, étudiants, indigènes et d’autres secteurs, sont descendues dans les rues de plusieurs grandes villes pour réclamer une amélioration des politiques de santé, d’éducation, de sécurité et dénoncer les abus des forces de l’ordre.

Les violences ont fait au moins 24 morts et quelque 850 blessés, selon des sources officielles. Mais des ONG locales ont annoncé des chiffres plus élevés, notamment Temblores avec 37 morts. Reporters sans frontières (RSF) a déploré 76 agressions contre des journalistes, dont 10 ont été blessés par les forces de l’ordre.

Le président Duque a dénoncé mercredi « des faits de vandalisme violent, de terrorisme urbain », le ministre de l’Intérieur, Daniel Palacios, lançant « un appel à la non-violence ».

À Bogota, des affrontements ont opposé des manifestants à la police qui les a dispersés avec des gaz lacrymogènes, alors qu’ils tentaient de pénétrer dans le parlement, adjacent au siège de la présidence. Après la tombée de la nuit, la situation était encore tendue au cœur de la capitale.

Des milliers de personnes s’y étaient rassemblées, arborant des slogans tels que « Duque démissionne ». Des groupes sont aussi allés protester aux abords du domicile du président, dans le nord.

« La police attaque »

« La police nous attaque […] Nous ne sommes pas des vandales », a déclaré à l’AFP Nathalie, 36 ans, parmi un groupe vêtu de deuil, préférant ne pas donner son nom.  

Des traces de violence restaient visibles dans la ville : postes de police incendiés, stations de bus et succursales bancaires vandalisées, résidus de pneus brûlés, après de graves heurts la nuit précédente qui ont fait 46 blessés, dont 16 agents.

« Cela fait mal de voir ça, mais ce qui nous blesse encore plus c’est la négligence de ce gouvernement sourd, qui préfère recourir à la force publique […] plutôt que d’aider » les gens, déplorait Hector Cuinemi, 19 ans, étudiant.

Dans la journée, la situation a été plus calme à Cali (sud-ouest), où notamment quelque 3000 indigènes clamaient « Résistance ». Mais les accès de la ville restaient bloqués alors que des pénuries de carburants se faisaient sentir.

La manifestation s’est aussi déroulée tranquillement à Medellín, où environ 8000 personnes ont marché sur fond de slogans contre l’ex-président de droite dure Alvaro Uribe (2000-2010), mentor d’Ivan Duque.

La mobilisation dure depuis le 28 avril, initialement contre un projet de réforme fiscale qui, selon ses critiques, aurait affecté la classe moyenne et était inopportun en pleine pandémie de COVID-19.

Le président l’a retiré, promettant un nouveau texte sans les points contestés comme la hausse de la TVA et l’élargissement de la base de l’impôt sur le revenu.

Mais la contestation s’est maintenue sous de nouveaux mots d’ordre.

La Fédération internationale des droits humains (FIDH) a tweeté mercredi contre « les graves violations perpétrées par la police », exhortant l’UE « à suspendre immédiatement […] tout type de livraison d’armement » et « d’aide militaire » à la Colombie, en demandant des « sanctions internationales contre le président Ivan Duque ».

L’ONU, l’Union européenne, les États-Unis et d’autres avaient dénoncé la veille un usage disproportionné de la force par la police.

« Organisation criminelle »

La tension s’était accrue lundi à Cali où des centaines de militaires et de policiers ont été déployés. Le gouvernement a argué que des dissidents des FARC, qui ont rejeté l’accord de paix signé en 2016 par l’ex-guérilla, ainsi que l’Armée de libération nationale (ELN), dernière rébellion du pays, et des gangs de narcotrafiquants y orchestraient les troubles.

M. Duque a dénoncé mercredi « une organisation criminelle, qui se cache derrière des aspirations sociales légitimes pour déstabiliser la société, générer la terreur ».

Tout en apportant son soutien aux forces de l’ordre, il a annoncé des « espaces de dialogue », soit 11 réunions prévues à partir de la semaine prochaine.

Le président de la Centrale unitaire des travailleurs (CUT), principale fédération syndicale, a jugé « nécessaire de discuter de la démilitarisation de la protestation sociale », outre les revendications des manifestants.

Le chef de l’État, dont la popularité est en berne à 33 %, a été confronté à de multiples manifestations depuis 2019, dans un pays en récession et affecté par une recrudescence du conflit armé qui le mine depuis près de soixante ans.

La 4e économie d’Amérique latine pâtit d’une chute du produit intérieur brut (PIB) de 6,8 % en 2020, d’un chômage de 16,8 % et d’une pauvreté à 42,5 % alors que près de la moitié de la population active vit d’emplois informels.

La Colombie fait en outre face à une 3e vague de COVID-19 avec à ce jour plus de 2,9 millions de cas, dont 76 015 décès, sur 50 millions d’habitants.