(Santiago du Chili) Les partis politiques au Chili sont parvenus vendredi à un accord historique au Parlement pour organiser un référendum en avril 2020 sur l’adoption d’une nouvelle Constitution remplaçant celle héritée de la dictature d’Augusto Pinochet, afin de tenter d’apaiser la violente crise sociale qui secoue le pays depuis près d’un mois.

« C’est une réponse de la politique au sens le plus noble du terme, la politique qui pense au Chili, qui prend son destin en main et qui assume ses responsabilités », a affirmé lors d’une conférence de presse le président du Sénat, Jaime Quintana. Membre du Parti pour la démocratie (opposition de centre gauche), il s’exprimait aux côtés d’autres responsables de partis hormis le Parti communiste.  

Après plusieurs heures de négociations au Parlement, la coalition gouvernementale de droite du président Sebastian Piñera et les principaux partis d’opposition ont signé un « Accord pour la paix et la nouvelle Constitution » prévoyant un référendum en avril 2020.

Celui-ci comportera deux questions : l’une sur le remplacement ou non de la Constitution et l’autre, le cas échéant, sur la méthode pour la rédiger, selon M. Quintana.

Cette seconde question devra déterminer quel organe rédigera la future Constitution, soit un « Congrès mixte » – idée soutenue par la coalition gouvernementale – composé à parts égales de membres élus à cette fin et de parlementaires en exercice, soit une Assemblée constituante intégralement composée de membres élus à cette fin – idée soutenue par l’opposition.

« Un nouveau pacte social »

Si le projet d’une nouvelle Constitution est validé par référendum, l’élection des membres de l’une ou l’autre de ces instances se fera en octobre 2020, au suffrage universel en même temps que les élections municipales et régionales.

La ratification du nouveau texte s’effectuera au suffrage universel, avec vote obligatoire pour l’occasion.

« Nous sommes heureux d’avoir pu conclure un accord qui marque une victoire contre la violence », a assuré Jacqueline van Rysselberghe, présidente de l’Union démocratique indépendante (UDI, conservateur), pilier de la coalition soutenant le président Piñera.

« Oui, nous pouvons rêver d’une Assemblée constituante », a réagi Catalina Perez, présidente de Revolución Democratica (gauche radicale).  

« C’est un premier pas historique et fondamental pour commencer à construire notre nouveau pacte social dans lequel la citoyenneté va tenir un rôle prépondérant », a déclaré le ministre de l’Intérieur, Gonzalo Blumel.

Le remplacement de la Constitution héritée de la dictature d’Augusto Pinochet (1973-1990) figure en bonne place dans les revendications des manifestants qui protestent depuis le 18 octobre.

Les manifestations, qui ont fait 22 morts et plus de 2000 blessés, restent massives près d’un mois depuis leur début.

Sous pression, M. Piñera s’était dit ouvert samedi à des modifications constitutionnelles alors que durant les neuf premiers jours de protestation il avait déployé l’armée dans les rues pour la première fois depuis la fin de la dictature.

La contestation avait démarré pour protester contre une hausse du ticket de métro à Santiago et s’est vite transformée en une explosion sociale sans précédent dans ce pays sud-américain.

« La Constitution de la dictature meurt et une démocratie naît », s’est félicité le sénateur progressiste et ex-ministre des Affaires étrangères, Heraldo Muñoz.

« Égalité pour tous »

« C’est un jour historique ! La Constitution donne beaucoup de privilèges aux gens qui ont de l’argent, du pouvoir. Nous voulons que la nouvelle Constitution assure l’égalité pour tous », s’enthousiasmait Ricardo Belmar, 54 ans, gérant d’une entreprise de construction dans la banlieue de Santiago.  

Danilo Carrasco, 50 ans, gardien d’un bâtiment public, se montrait plus prudent : « Il faut voir si ce référendum apaise la rue et j’espère qu’il va en sortir quelque chose de bien ».

Approuvée en 1980 lors d’un référendum controversé en plein régime militaire, l’actuelle Constitution avait été faite sur mesure pour que les secteurs conservateurs de la société puissent se maintenir au pouvoir, y compris après la fin de la dictature.

La loi fondamentale, dont l’idéologue d’extrême droite Jaime Guzman a été assassiné en 1991 par un commando d’extrême gauche, a subi de nombreux amendements depuis la fin de la dictature.  

En 2005, un large accord politique avait supprimé ses aspects les plus antidémocratiques, rendant possible de limoger les chefs militaires sans accord préalable du Conseil de sécurité nationale et stipulant que les sénateurs soient désormais tous élus.   

Signe de l’optimisme sur une possible sortie de crise, la Bourse de Santiago a bondi de 6 % peu après l’ouverture et le peso a repris des couleurs après trois records successifs à la baisse depuis mardi.