De nouvelles accusations impliquant la présidente Dilma Rousseff dans le vaste réseau de corruption Petrobras ont accentué samedi la crise politique au Brésil, plus divisé que jamais.

«Dilma a hérité et bénéficié directement de ce système, qui a financé ses campagnes électorales» en 2010 et 2014, a accusé le sénateur de gauche Delcidio Amaral, lui-même mis en examen dans ce dossier.

Si l'ex-président Luiz Inacio Lula da Silva (2003-2010), soupçonné par la justice de corruption et blanchiment d'argent, « dirigeait le système » de pots-de-vin, « Dilma aussi savait tout », a-t-il ajouté dans un entretien à l'hebdomadaire Veja.

Et pour empêcher une enquête, Mme Rousseff et son prédécesseur et mentor « tentaient systématiquement d'entraver le travail de la justice », a-t-il affirmé.

Le gouvernement a dénoncé dans la soirée des accusations « calomnieuses » et « diffamatoires », annonçant qu'il porterait plainte.

Les affirmations du sénateur, qui collabore avec la justice contre de futures remises de peine, surviennent au lendemain de manifestations de la gauche brésilienne en soutien à la présidente.

Quelque 267 000 militants et sympathisants, selon la police, ont défilé dans 55 villes du pays, aux cris de « Il n'y aura pas de coup d'Etat! ».

C'est 10 fois moins que les trois millions de Brésiliens descendus dans les rues la semaine dernière pour réclamer le départ de la chef de l'Etat, qu'ils accusent d'avoir maquillé les comptes publics l'année de sa réélection, en 2014.

Le géant d'Amérique latine, hôte des jeux Olympiques en août, est actuellement paralysé par une récession et une tempête politico-judiciaire, les défilés des deux camps qui se succèdent depuis plusieurs mois reflétant une société profondément divisée.

Samedi, munis de pancartes « Lula voleur » et « Dehors Dilma », une centaine de manifestants se sont installés dans le centre de Sao Paulo, avec l'intention d'y rester jusqu'à obtenir la démission de Mme Rousseff.

« Nous voulons la démission de Dilma et la prison pour Lula, puis pour tous les politiciens corrompus, quel que soit leur parti », racontait Bruno Balestrero, 27 ans.

Après 13 ans au pouvoir, la gauche brésilienne, empêtrée dans un vaste scandale de corruption autour du groupe pétrolier étatique Petrobras, tangue dangereusement sur deux fronts : Dilma Rousseff est menacée au Parlement d'une procédure de destitution et Lula risque un placement en détention provisoire.

Vers un changement de gouvernement?

Vendredi soir, un juge du Tribunal suprême fédéral (STF), plus haute juridiction du pays, a suspendu l'entrée récente de Lula au gouvernement, y voyant une « forme d'obstruction des mesures judiciaires ».

Selon le site juridique Jota, le STF, seule instance pouvant confirmer ou annuler cette suspension, ne se réunira pas avant le 30 mars, en raison des vacances de Pâques.

Pendant 11 jours, Lula ne peut donc exercer ses fonctions de chef de cabinet (quasi premier ministre) de Dilma Rousseff.

Plus important encore, l'icône de la gauche brésilienne redevient simple justiciable.

Dans ce laps de temps, le juge Sergio Moro, chargé du dossier Petrobras, « peut ordonner sa détention (provisoire) mais il devra démontrer qu'il existe des faits la justifiant », a expliqué à l'AFP Carlos Gonçalves, professeur de droit de l'Université catholique de Sao Paulo.

L'avenir de Dilma Rousseff dépend lui du bon vouloir d'une Commission spéciale de 65 députés, qui a entamé vendredi ses travaux et souhaite rendre un premier avis d'ici un mois.

Son rapport sera soumis à l'Assemblée plénière des députés : si les deux tiers (342 sur 513) se prononcent en faveur de la mise en accusation de la présidente, celle-ci sera écartée de ses fonctions pendant 180 jours maximum. Il faudrait ensuite les deux tiers des sénateurs (54 sur 81) pour la destituer.

Vendredi soir, l'Ordre général des avocats (OAB) a apporté son soutien à la procédure de destitution.

Samedi, un sondage de l'institut Datafolha chiffrait à 68 % l'appui des Brésiliens à cette procédure, huit points de plus qu'en février.

Jusqu'à présent, Fernando Collor de Mello (1990-1992) avait été le seul président dans l'histoire du pays à être destitué, pour corruption.

Selon Joao Augusto de Castro Neves, directeur Amérique latine au cabinet d'analyse Eurasia Group, « la probabilité d'un changement de gouvernement augmente vraiment », à 75 % selon ses calculs, et « cela pourrait arriver dès le début mai ».