Il y a 10 jours, il était en prison. Depuis dimanche, il est le nouveau président du Sénégal. Mais qui est donc Bassirou Diomaye Faye ?

Un séisme politique

Dimanche, au terme d’une campagne éclair de deux semaines, le candidat « antisystème » Bassirou Diomaye Faye a été élu président dès le premier tour, contre son rival principal, Amadou Ba, dauphin désigné du président sortant, Macky Sall, chef de l’État pendant 12 ans. Cette victoire représente un véritable « séisme » politique au Sénégal, puisqu’elle marque l’avènement au sommet d’une nouvelle génération de politiciens axée sur la « rupture ». À 44 ans, ce musulman pratiquant, souvent vêtu d’un boubou blanc, devient le plus jeune président de l’histoire de ce pays de 18 millions d’habitants, indépendant depuis 1960.

Quand le numéro  2 devient numéro 1

Ancien inspecteur des impôts, Bassirou Diomaye Faye n’était pas destiné à la présidence et n’a jamais exercé le moindre mandat d’élu auparavant. Il évoluait dans l’ombre politique du charismatique Ousmane Sonko, avec qui il avait cofondé le Pastef (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité), officiellement dissous en 2023. Il a été projeté à la tête de son camp et choisi comme candidat présidentiel en novembre, en raison de l’inéligibilité d’Ousmane Sonko, après une condamnation pour viol et « corruption de la jeunesse ».

Une affaire que le principal intéressé a toujours qualifiée de « machination » destinée à l’écarter de la course à la présidentielle. M. Faye avait lui aussi été inculpé et écroué, pour outrage à un magistrat, diffamation et actes de nature à compromettre la paix publique. Les deux hommes avaient été libérés une dizaine de jours avant le scrutin, à la suite de l’adoption d’un projet de loi d’amnistie destiné à apaiser les tensions politiques.

Rétablir la souveraineté nationale

La victoire de M. Faye, « candidat du changement de système » et d’un « panafricanisme de gauche », pourrait annoncer des changements en profondeur au Sénégal, après plusieurs années éprouvantes sur le plan économique. S’affichant comme l’incarnation d’une nouvelle génération de politiciens, il souhaite répartir plus justement les richesses et réformer une justice qu’il juge corrompue. Il insiste sur le rétablissement de la « souveraineté » nationale, bradée selon lui à l’étranger. ll promet de renégocier les contrats miniers, gaziers et pétroliers conclus avec des sociétés étrangères, laissant entendre que Sénégal pourrait commencer à produire du gaz et du pétrole en 2024.

Il vise aussi une réforme monétaire, à savoir la création d’une monnaie nationale à la place du franc CFA, hérité de la colonisation dans plusieurs pays africains. Bref, il se présente lui-même comme « le choix pour la rupture ».

Rassurer les partenaires internationaux

Ce programme du renouveau s’inscrit dans une mouvance nationaliste qui gronde de plus en plus fort en Afrique de l’Ouest. Mais Bassirou Diomaye Faye a assuré lundi que son pays resterait « l’allié sûr et fiable » de tous les partenaires étrangers « respectueux », lors de sa première apparition publique depuis l’annonce de sa victoire. Des propos encourageants pour la France, son premier partenaire politique et économique, qui vient d’essuyer plusieurs revers dans la région, ayant notamment dû rompre toute coopération militaire avec le Mali, le Burkina Faso et le Niger.

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Bassirou Diomaye Faye, lundi, lors de sa première conférence de presse après sa victoire à la présidentielle

Dans un message publié lundi sur le réseau social X, le président français, Emmanuel Macron, a félicité le vainqueur de l’élection, se réjouissant de « travailler avec lui ». M. Faye a par ailleurs répété son intention d’œuvrer à des changements au sein de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Son pays, réputé pour sa stabilité, est l’un des piliers de l’organisation régionale secouée depuis 2020 par des coups d’État dans plusieurs de ses États membres, voisins du Sénégal.

Troubles et confusion

Les résultats officiels provisoires de l’élection devraient être publiés cette semaine. Mais les adversaires de M. Faye ainsi que le président sortant, Macky Sall, ont reconnu la victoire de M. Faye. Les Sénégalais devaient initialement voter le 25 février, mais un report de dernière minute a plongé le pays dans l’une de ses plus graves crises depuis des décennies et provoqué plusieurs semaines de confusion qui ont mis à l’épreuve la pratique démocratique du Sénégal.

Le pays a connu depuis 2021 différents épisodes de troubles causés par le bras de fer entre M. Sonko et le pouvoir, conjugué aux tensions sociales. La pauvreté frappe au moins un Sénégalais sur trois, et le chômage touche au moins 20 % de la population active.

Avec l’Agence France-Presse, RFI, France 24, Ouest-France, Courrier international