Pendant que le monde regarde ailleurs, le Soudan, au bord de la famine, vit « l’une des pires catastrophes humanitaires de mémoire récente ». Le Canada, comme le reste de la communauté internationale, est lui-même critiqué pour son implication insuffisante, notamment par l’un de ses ex-diplomates.

« Une parodie humanitaire se joue au Soudan, derrière un voile d’inattention et d’inaction internationales. Pour le dire de façon simple, nous laissons tomber le peuple soudanais », a lancé il y a quelques jours devant le Conseil de sécurité Edem Wosornu, au nom du Bureau des opérations humanitaires de l’ONU.

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Des gens qui ont fui Khartoum, la capitale soudanaise, se reposent dans un camp pour réfugiés du sud de la province d’Al-Qadarif.

Qu’on en juge : un enfant meurt toutes les deux heures dans le camp de Zamzam, au Darfour septentrional ; 18 millions de personnes – dont 730 000 enfants souffrent d’une insécurité alimentaire aiguë. Et c’est sans compter, toujours selon l’ONU, que des viols qui pourraient être assimilés à des crimes de guerre sont commis contre des femmes et des enfants.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Le Soudan est au bord du gouffre depuis des années.

Le Soudan est au bord du gouffre depuis des années. Le 15 avril 2023, un conflit entre l’armée au pouvoir et les forces paramilitaires a éclaté. Depuis lors, des accords ponctuels entre les parties pour en arriver à un cessez-le-feu ou à la mise en place de corridors humanitaires n’ont pas été respectés.

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Des volutes de fumée s’élèvent dans le ciel au-dessus de Khartoum, le 24 mai dernier, après des heurts entre l’armée et les forces paramilitaires.

En novembre, au quotidien montréalais Le Devoir, Mamadou Dian Balde, directeur régional du Haut-Commissariat pour l’Afrique de l’Est, la Corne de l’Afrique et la région des Grands Lacs, avait résumé la chose ainsi. « Le peu d’attention qu’il y avait est parti. » « Ça a été éclipsé par l’Ukraine. […] Maintenant, c’est Gaza qui éclipse tout. »

Trop peu

Nicholas Coghlan, le diplomate qui a ouvert une ambassade canadienne au Soudan il y a une vingtaine d’années, se montre outré et multiplie les messages sur le réseau social X.

Un effort diplomatique de haut niveau doit se faire de toute urgence et le Canada doit se réveiller. Nous sommes totalement désengagés.

Le diplomate Nicholas Coghlan, sur X

Le NPD réclame aussi du gouvernement Trudeau une plus grande implication. Dans une lettre envoyée vendredi à trois ministres, la députée Heather McPherson, porte-parole de son parti en matière d’affaires étrangères, presse Ottawa d’imposer « des sanctions immédiatement contre les responsables de violations du droit international et des droits humains » au Soudan.

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Un réfugié soudanais reçoit des soins dans un hôpital de fortune du camp pour réfugiés de Kumer, en Éthiopie.

Elle demande aussi au gouvernement Trudeau d’en faire plus pour que l’aide humanitaire soit acheminée et que le Canada contribue davantage.

Plus encore, elle demande « d’accélérer immédiatement le traitement des demandes pour les membres de la famille à charge des Canadiens soudanais ».

Sur X, le diplomate Nicholas Coghlan salue cette lettre. « Il est formidable de voir l’un des principaux partis politiques canadiens s’attaquer à la situation au Soudan, et ce, face à l’inaction et au silence du gouvernement [canadien]. »

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Des enfants transportent des colis d’aide humanitaire près de l’école où leurs familles ont trouvé refuge, non loin d’Al-Qadarif.

Interpellé par La Presse, Grantly Franklin, porte-parole d’Affaires mondiales Canada, assure que « le Canada est profondément préoccupé par le conflit en cours au Soudan ».

« Le Canada continue de demander aux parties de permettre et de faciliter le passage rapide et sans entrave de l’aide humanitaire pour les civils dans le besoin, conformément au droit international humanitaire. »

Avec nos partenaires, nous explorons toutes les options possibles pour faire en sorte que les responsables des violations des droits de l’homme rendent des comptes.

Grantly Franklin, porte-parole d’Affaires mondiales Canada

M. Franklin ajoute qu’Ottawa continue « d’appeler à une cessation immédiate des hostilités » et qu’en 2023, « le Canada a alloué plus de 170 millions de dollars d’aide humanitaire aux Nations unies, à la Croix-Rouge et aux ONG partenaires au Soudan et dans les pays voisins touchés par le conflit : Égypte, Éthiopie, République centrafricaine, Soudan du Sud et Tchad. Sur ce montant, plus de 42 millions de dollars ont été consacrés à la fourniture d’une aide humanitaire à l’intérieur du Soudan.

Mettre fin au silence

Dans le New York Times, Linda Thomas Greenfield, ambassadrice des États-Unis aux Nations unies, dénonce haut et fort l’indifférence du monde entier.

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Un réfugié soudanais dans un camp érigé en Éthiopie, à environ 70 km de la frontière avec le Soudan, ravagé par la guerre

En septembre dernier, raconte-t-elle, elle a visité un hôpital de fortune au Tchad, où sont dirigés des réfugiés soudanais souffrant de malnutrition aiguë. Elle s’attendait à y entendre des pleurs d’enfants. Elle a plutôt été confrontée à un silence troublant, à des enfants trop malades et amaigris « pour même pleurer ». Elle n’arrive pas non plus à oublier « un bébé de 6 mois qui était de la taille d’un nouveau-né ».

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Des enfants s’amusant dans un camp pour réfugiés de la province d’Al-Qadarif.

« Depuis presque un an, ajoute-t-elle, je pousse le Conseil de sécurité des Nations unies à parler. Le 8 mars, le Conseil a finalement appelé à un arrêt immédiat des hostilités. C’est un pas positif, mais ce n’est pas suffisant : la communauté internationale et les médias sont restés largement silencieux. Le silence et l’inaction du monde doivent cesser, et cesser maintenant. »