(Khartoum) Explosions et tirs ont résonné jeudi à Khartoum, au vingtième jour de combats acharnés entre l’armée et les paramilitaires qui se disputent le pouvoir au Soudan, risquant d’entraîner la région dans une crise.

Malgré l’annonce d’une nouvelle trêve jusqu’au 11 mai, « des affrontements avec toutes sortes d’armes et des explosions » secouent Khartoum, ont rapporté des habitants à l’AFP.

« La tragédie […] doit cesser », a plaidé le président américain Joe Biden, agitant la menace des sanctions contre « les individus qui menacent la paix », sans toutefois donner de nom alors que le pays de 45 millions d’habitants est la proie d’une lutte de pouvoir entre deux généraux : le chef de l’armée Abdel Fattah al-Burhane et le patron des Forces de soutien rapide (FSR) Mohamed Hamdane Daglo.

Les cinq millions d’habitants de Khartoum vivent au rythme des bombardements, terrés chez eux pour éviter les balles perdues. Souvent privés d’eau et d’électricité, sous une chaleur écrasante, ils peinent aussi à retirer leurs économies des banques et à acheter de quoi manger.

Dans les villages des environs, « les prix du carburant ont grimpé, il n’y a ni argent liquide, ni paiement en ligne, ni électricité », se lamente Ahmed Hachem, un vendeur de légumes.

Depuis le 15 avril, la guerre a fait environ 700 morts, selon l’ONG ACLED qui recense les victimes de conflits.

Les combats ont en outre fait plus de 5000 blessés. Au moins 335 000 personnes ont été déplacées et 115 000 poussées à l’exil, selon l’ONU, qui réclame 402 millions d’euros pour les aider.

Pillages

Le jour où la guerre a éclaté, les deux généraux, alliés pour le putsch de 2021, devaient discuter avec l’ONU et les médiateurs internationaux de l’intégration des FSR à l’armée, condition sine qua non à un retour à la transition vers un gouvernement civil et donc à la reprise de l’aide internationale, suspendue en réaction au coup d’État.  

« Nous pouvons dire que nous n’avons pas réussi à empêcher » la guerre qui a pris l’ONU « par surprise », a reconnu mercredi son secrétaire général, Antonio Guterres.

« À chaque minute de guerre en plus, des gens meurent ou sont jetés dans les rues, la société se désagrège et l’État s’affaiblit et se décompose un peu plus », a déploré Khalid Omar Youssef, un ancien ministre soudanais, civil limogé lors du putsch.

Dans la ville côtière de Port-Soudan, épargnée par la violence, le coordonnateur des secours d’urgence de l’ONU, Martin Griffiths, tente d’organiser le réapprovisionnement des stocks après des pillages de masse dans ce pays de 45 millions d’habitants, où un sur trois dépendait déjà de l’aide humanitaire avant la guerre.

Le Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Volker Türk, décrit le chaos à Khartoum : « un raid de l’armée de l’air sur un hôpital », les FSR qui « lancent des attaques dans des zones urbaines densément peuplées »…  

Au Darfour (ouest), où des civils ont été armés pour participer aux affrontements mêlant militaires, paramilitaires et combattants tribaux ou rebelles, selon l’ONU, l’ONG Norwegian Refugee Council (NRC) raconte la désolation : « il y a eu au moins 191 morts, des dizaines d’habitations incendiées, des milliers de déplacés et les bureaux de NRC ont été pillés ».

Le ministère soudanais des Affaires étrangères a également accusé les FSR d’avoir attaqué à Khartoum des chancelleries, dont les diplomates avaient été évacués : « les ambassades d’Inde et de Corée, le bureau culturel saoudien, la résidence des diplomates suisses et une section consulaire turque ».  

À El-Obeid, à 300 km au sud de la capitale, des témoins ont rapporté avoir assisté à des combats.

« Solutions africaines »

Le Soudan du Sud, médiateur historique, a annoncé une trêve « du 4 au 11 mai ». Dès son entrée en vigueur, l’armée et les FSR se sont accusées de la violer.

Alors que les canaux diplomatiques se multiplient en Afrique et au Moyen-Orient, l’armée – qui a salué les médiations américano-saoudiennes – a plaidé pour « des solutions africaines aux problèmes du continent ».

L’émissaire du général Burhane était ainsi jeudi à Addis Abeba, en Éthiopie. Le chef de la diplomatie égyptienne, Sameh Choukri, a annoncé quant à lui avoir eu au téléphone les deux généraux rivaux.

Dimanche, les ministres arabes des Affaires étrangères se réuniront autour du « dossier soudanais », dans lequel ils soutiennent des camps différents, a indiqué un haut diplomate à l’AFP.

Le camp du général Burhane s’est engagé à « nommer un émissaire pour négocier une trêve » avec le camp rival, sous l’égide « des présidents sud-soudanais, kényan et djiboutien », dans un pays qui doit encore être déterminé.

Au Soudan, l’exode des habitants se poursuit et des étrangers continuent d’être évacués par centaines, principalement via Port-Soudan, sur la mer Rouge.

« Plus de 50 000 personnes avaient traversé le 3 mai » vers l’Égypte, selon l’ONU, « plus de 11 000 » vers l’Éthiopie et « 30 000 vers le Tchad ».

M. Guterres a jugé « absolument essentiel » que la crise ne s’étende pas au-delà des frontières.