(Lagos) À moins de trois semaines de l’élection présidentielle au Nigeria, la colère gronde dans le pays le plus peuplé d’Afrique en proie à de graves pénuries d’essence et de nouveaux billets de banque.

En plus de provoquer l’exaspération de la population, ces pénuries rebattent les cartes de la présidentielle du 25 février, tout en mettant en péril son organisation.  

Face à ces crises, le président Muhammadu Buhari organise vendredi un Conseil d’État avec les gouverneurs, d’anciens chefs d’État et le président de la Commission électorale (Inec).

Pourquoi y a-t-il une pénurie de billets ?

Tout est parti de la décision des autorités de remplacer les anciens billets en nairas par des nouveaux, de couleurs différentes. Une mesure visant à réduire le volume d’argent en dehors du système bancaire.

Mais c’est une mesure qui cherche aussi à réduire les achats de voix, une pratique courante au Nigeria, explique Idayat Hassan, directrice du Centre for Democracy and Development.

Le problème ? « Cette mesure n’a pas été soigneusement planifiée. Les gens rendent leurs vieux billets aux banques » qui n’ont pas assez de nouveaux billets pour les remplacer, poursuit-elle. « L’offre ne répond pas à la demande. »

Dans une société où l’économie informelle est vitale, et donc basée sur l’argent liquide, la pénurie de « cash » a provoqué des émeutes, notamment à Kano, grande ville du nord. Beaucoup pointent du doigt la responsabilité des autorités.

« Je doute que la Banque centrale ait imprimé suffisamment de billets », confie Tunde Ajileye, analyste du cabinet de conseil nigérian SBM Intelligence.

Et la panique rajoute une pression supplémentaire sur le système : « les gens, par peur, retirent beaucoup plus d’argent que d’habitude », poursuit M. Ajileye. Certains, en possession de nouveaux billets, alimentent déjà un marché noir florissant, aggravant la pénurie.

À presque deux semaines du scrutin, le calendrier de remplacement des billets interroge. Des partisans du candidat du parti au pouvoir (APC), Bola Ahmed Tinubu, crient au complot, accusant même la présidence de vouloir empêcher celui qui est surnommé le « Parrain » d’être élu.

Pourquoi y a-t-il une pénurie d’essence ?

Les pénuries d’essence sont courantes au Nigeria, pourtant premier producteur de pétrole d’Afrique, mais qui n’en raffine quasiment pas et importe la majorité de son carburant.

« Le pays n’a tout simplement pas l’argent pour payer » l’essence, explique Tunde Ajileye.

Un paradoxe lié à un sujet très sensible dans le pays : les subventions du carburant. Le gouvernement nigérian prend en charge une partie du coût de l’essence aux stations et permet ainsi à sa population de se ravitailler à un prix artificiellement bas. Un système qui siphonne chaque année des milliards de dollars des caisses publiques.

Avec l’explosion des prix liée à la guerre en Ukraine, le gouvernement est complètement dépassé par son système de subventions et ne peut plus payer les négociants.

« Les négociants se sentent pénalisés, le gouvernement les obligeant à vendre au prix normal du marché », poursuit M. Ajileye.  

Pour une raison politique, le gouvernement « ne veut pas augmenter les prix, surtout deux semaines avant l’élection présidentielle », insiste-t-il.

Les deux camps s’opposent : d’un côté, les négociants ne veulent pas vendre à perte. De l’autre, la présidence accuse les premiers de stocker le pétrole et d’alimenter le marché noir.

Quelles conséquences pour l’élection présidentielle ?

Dans les urnes, les électeurs pourraient sanctionner le parti au pouvoir (APC).

Les Nigérians ont du mal à « dissocier » l’APC d’une inflation à deux chiffres et de l’incapacité à mettre fin aux violences des groupes djihadistes, séparatistes et criminels, souligne M. Ajileye.

Et « à moins que quelque chose de concret ne soit fait avant l’élection, il y aura de sérieuses implications sur sa logistique », souligne Idayat Hassan.

Si les pénuries perdurent, la participation au scrutin sera la première affectée, poursuit-elle.

« Les gens doivent rentrer dans leurs communautés pour voter. Avec le manque d’argent et de carburant, certains ne pourront pas rentrer », prévient Mme Hassan.

Plus de 93 millions de personnes seront appelées aux urnes, un défi logistique de taille pour la Commission électorale.

La Commission aura-t-elle accès à de l’argent liquide pour payer ses agents et acheminer le matériel électoral sur tout le territoire ? Les observateurs pourront-ils être déployés ? Autant de questions posées par les experts.

Malgré tout, l’Inec a assuré mercredi que l’élection présidentielle aura bien lieu le 25 février, affirmant avoir notamment eu des garanties de la Banque centrale.