La tenue de la COP 27 en Égypte offre, en principe, au régime du président Abdel Fattah al-Sissi une occasion de redorer son image sur la scène internationale, mais pourrait finalement s’avérer plutôt une source d’embarras en raison de l’attention accordée à ses dérives autoritaires.

Plutôt que de boycotter la conférence climatique, nombre d’organisations non gouvernementales luttant pour le respect des droits de la personne espèrent en profiter pour mettre la pression sur Le Caire et obtenir des concessions.

Les appels multiples à la libération du blogueur Alaa Abdel Fattah, qui est détenu au secret dans des conditions inquiétantes, témoignent des efforts en cours.

Vincent Forest, qui chapeaute les campagnes de sensibilisation d’EuroMed Rights, un réseau d’organisations de défense des droits de la personne réparties dans une trentaine de pays de la zone méditerranéenne, note que le sommet représente une occasion « stratégique » pour attirer l’attention sur les victimes du régime et réclamer une plus grande place pour la société civile égyptienne.

L’exercice, prévient-il d’emblée, a ses limites puisque le président Sissi et son régime se montrent généralement très peu sensibles aux critiques extérieures.

« Il y a eu des libérations de prisonniers avant la COP, mais ça se passe vraiment à la marge. Les prisonniers les plus emblématiques sont toujours en prison et continuent d’être traités de manière exécrable », relate M. Forest, qui ne s’étonne pas de voir qu’un député égyptien a cherché à interrompre une conférence de presse donnée par la sœur d’Alaa Abdel Fattah il y a quelques jours.

« L’Égypte montre son vrai visage », estime le porte-parole, qui ne s’étonne pas non plus du fait qu’un membre de l’exécutif d’EuroMed Rights dûment accrédité pour la COP a été refoulé cette semaine à son arrivée au Caire.

Répression des voix dissidentes

Le régime a mis les bouchées doubles pour réduire les voix critiques en prévision du sommet.

Les manifestations ont été autorisées dans une zone restreinte éloignée de celle où se réunissent les dignitaires à Charm el-Cheikh, dans le Sinaï, et sont régies étroitement par les forces de sécurité.

Selon Human Rights Watch, des caméras de surveillance ont notamment été installées dans des centaines de taxis pour surveiller les allées et venues des participants à la conférence.

Au dire de l’organisation, les contrôles policiers arbitraires assortis de fouilles de téléphones se sont multipliés, particulièrement dans la capitale, pour décourager toute manifestation non autorisée.

L’Agence France-Presse rapportait vendredi que le quadrillage de la capitale avait été intensifié dans la journée en réponse à des appels à manifester en ligne qui sont finalement restés sans suite.

François Audet, de l’Institut d’études internationales de Montréal, pense que les pressions exercées sur le régime égyptien durant la COP risquent d’avoir un impact limité.

Sissi est un dictateur bien en selle, qui contrôle parfaitement l’armée. Il n’est pas du tout fragile. Les critiques ne changeront peut-être pas grand-chose, mais c’est mieux que de ne rien dire.

François Audet, ex-directeur de l’Institut d’études internationales de Montréal

Le chercheur estime qu’il aurait été préférable de confier la tenue de l’évènement à un pays doté d’un régime moins problématique, mais souligne que les choix s’avèrent souvent limités, notamment pour les COP qui alternent d’une région à l’autre sous la gouverne des Nations unies.

« Quand on arrive dans certaines régions, par exemple le Moyen-Orient, il peut devenir difficile de trouver un État capable de tenir un évènement d’une aussi grande ampleur qui coche aussi toutes les autres cases, y compris sur la question des droits humains », relève-t-il.

Les dirigeants occidentaux qui s’y rendent ont le devoir, note M. Audet, d’évoquer la problématique, idéalement en public plutôt que dans des conversations de coulisses.

Repenser le processus d’attribution

France-Isabelle Langlois, qui chapeaute la section canadienne francophone d’Amnistie internationale, est aussi d’avis qu’il serait préférable d’accorder une plus grande importance à la question des droits de la personne dans le processus d’attribution de tels sommets.

Dans le cas de la COP 27, d’autres États moins problématiques auraient pu assumer le rôle, « mais ils n’ont pas levé la main », relève Mme Langlois.

Bien qu’elle porte d’abord sur le réchauffement climatique, une rencontre internationale de cette envergure offre une occasion aux diplomates de faire avancer un « agenda parallèle » devant, dit-elle, englober la question des droits de la personne.

L’Égypte, ajoute Mme Langlois, ne doit pas faire exception même si son dirigeant se montre peu ouvert aux concessions.

Dans un récent rapport, Amnistie internationale a relevé que le régime d’Abdel Fattah al-Sissi continue de se livrer à des « violations graves des droits humains » tout en « investissant de plus en plus dans des exercices de relations publiques » visant à offrir une image trompeuse de la situation.

« Il ne faut pas avoir trop d’illusions sur ce qu’on peut obtenir, mais il ne faut pas perdre espoir non plus. C’est la somme de toutes les pressions qui fait ultimement que des changements peuvent s’opérer », note Mme Langlois.