(Conakry) Même aux normes de la Guinée où les abus des forces de sécurité sont réputés monnaie courante, une vidéo virale montrant des policiers utiliser une mère de famille comme bouclier face à des lanceurs de pierres a fait scandale.

La vidéo, dont l’authenticité n’est pas contestée par la police, a été visionnée des centaines de milliers de fois sur les réseaux sociaux, suscitant des commentaires outrés.

Pour l’opposition, ces images, les dernières en date mettant en cause policiers et gendarmes alors que le pays est le théâtre de troubles depuis plus de trois mois, sont le signe que « nous avons atteint toutes les formes de violation des droits humains ».

Les autorités ont présenté leurs excuses et arrêté le principal protagoniste présumé de la scène côté policier.

La vidéo, filmée, semble-t-il par des voisins et marquée d’un tag situant l’incident mercredi à Wanidara, montre quatre policiers casqués faisant apparemment face à de jeunes lanceurs de pierres, d’abord hors champ, dans cette banlieue populaire de Conakry.

L’un des policiers avance au-devant des émeutiers en poussant une femme devant lui, contre son gré. Quelques cailloux et projectiles antiémeutes sont échangés, jusqu’à ce que les policiers battent précipitamment en retraite devant une charge des jeunes. Le policier emmène la femme, paraissant à un moment la traîner au sol.

Fatoumata Bah, mère de cinq enfants, a rapporté aux médias avoir été interceptée par les policiers alors qu’elle revenait de l’hôpital. Elle raconte que les policiers l’ont fouillée, bousculée et jetée à terre. Les jeunes du quartier se sont alors mobilisés, suscitant la confrontation filmée en vidéo, dit-elle.

« Aujourd’hui, j’ai très mal. J’ai une entorse au pied droit et des égratignures presque sur toutes mes jambes », dit-elle. Elle a aussi « honte, ma dignité a été bafouée. Je suis une mère de famille, j’ai des beaux-parents ».

La police a annoncé l’arrestation du principal auteur présumé des faits. Le brigadier Mamadou Lamarana Bah (sans lien avec la victime) a été présenté à des journalistes, en présence du directeur général de la police, le général Ansoumane Baffoe Camara. Il a assuré que le quartier était la proie de heurts, que Fatoumata Bah apportait des pierres aux jeunes, mais qu’il l’a « attrapée » pour la protéger des violences.

« Toucher le fond »

« Je le jure entre Dieu et moi, je n’ai jamais voulu lui faire du mal, c’était juste pour la sauver », a-t-il dit.

Version contredite par le directeur général de la police, selon lequel « on l’a vu s’abriter derrière la femme, donc il n’y a pas de confusion possible ».

Le policier « répondra de son acte » et même « va servir d’exemple », a-t-il dit. Lui et le ministère de la Sécurité ont présenté des excuses. Tout agent en faute « sera recherché et sanctionné », a assuré le ministère dans un communiqué. Pour le responsable policier comme le ministère, ce sont des comportements « isolés ».

Pas pour tout le monde.

« Après les tirs dans les cimetières, les lieux de culte, même sur des ambulances, aujourd’hui la milice (du président) Alpha Condé (se livre aux) prises d’otages », écrit sur Facebook le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC).

Le collectif FNDC mène depuis mi-octobre la contestation contre le projet prêté au président Condé de briguer un troisième mandat fin 2020, alors que la Constitution en limite le nombre à deux. Le pays est depuis livré à une agitation dans laquelle au moins 28 civils et un gendarme ont été tués.

Le mouvement, à plusieurs reprises sévèrement réprimé, a jeté une lumière crue sur le comportement des forces de sécurité guinéennes, dénoncé de longue date par les défenseurs des droits humains. Plusieurs vidéos accusatrices, montrant par exemple des policiers frappant des civils arrêtés ou un vieil homme, ont circulé sur l’internet.

Dans un rapport publié en novembre, Amnistie internationale notait que 70 manifestants ou passants avaient été tués depuis 2015 lors de rassemblements, témoignages et munitions désignant les policiers ou les gendarmes. L’ONG fustigeait « l’impunité » dont jouissent quasiment systématiquement les forces de sécurité, malgré les promesses d’enquêtes.

François Patuel, d’Amnistie internationale, note que la vidéo est toujours en cours de vérification par son organisation. Mais si sa véracité était confirmée, « les forces de police toucheraient encore plus le fond », a-t-il dit à l’AFP.