(Mogadiscio) La Somalie a rompu mardi ses relations diplomatiques avec le Kenya, qu’elle accuse d’ingérence, après des mois de tensions croissantes entre les deux voisins d’Afrique de l’Est et alors que Mogadiscio se prépare à des élections pour désigner ses députés et son président.

« Le gouvernement somalien a décidé de rompre ses liens diplomatiques avec le Kenya », a déclaré à la presse le ministre somalien de l’Information Osman Abukar Dubbe.

« Le gouvernement fédéral somalien a pris cette décision en réponse aux violations politiques récurrentes et éhontées du Kenya contre la souveraineté de notre pays », a-t-il ajouté.

Les relations entre le Kenya et la Somalie, qui partagent 700 km de frontière commune, sont très dégradées depuis de longs mois.

Le gouvernement du président somalien Mohamed Abdullahi Mohamed, surnommé « Farmajo », accuse régulièrement les autorités kényanes d’ingérence, sans toutefois préciser ses griefs. La présidence kényane a par le passé indiqué qu’elle refusait de servir de « bouc-émissaire » à des enjeux politiques internes à la Somalie.

Le fragile gouvernement fédéral contrôle seulement une partie du territoire somalien et ce, avec le soutien pourtant crucial des quelque 20 000 hommes de la force de l’Union africaine en Somalie (Amisom) -à laquelle le Kenya contribue-, déployés pour lutter contre les islamistes radicaux shebab.

La décision de rompre les relations diplomatiques intervient alors que le président kényan Uhuru Kenyatta a reçu dimanche et lundi à Nairobi le président de la République autoproclamée du Somaliland, Muse Bihi Abdi.

Ces derniers ont annoncé un renforcement de leurs relations, avec notamment l’ouverture au premier trimestre 2021 d’un consulat kényan à Hargeisa, capitale du Somaliland (situé dans le nord de la Somalie), et de lignes aériennes reliant directement cette ville à Nairobi.  

« Les deux dirigeants ont souligné l’engagement du Kenya pour une Somalie en paix, stable, forte et prospère, dans laquelle […] tous les Somaliens ont l’opportunité d’exprimer leur volonté souveraine », écrivent-ils mardi dans un communiqué où la décision somalienne n’est pas évoquée.  

Mogadiscio considère que le Somaliland, qui n’est pas reconnu par la communauté internationale, fait partie intégrante de la Somalie et toute visite officielle des autorités somalilandaises à l’étranger suscite la colère du gouvernement somalien.

Lundi, Mogadiscio a indiqué s’être officiellement plaint du Kenya auprès de l’Igad, le bloc régional d’Afrique de l’Est, qui pourrait discuter du différend entre les deux pays lors d’une réunion dimanche.

Le porte-parole du gouvernement kényan Cyrus Oguna a estimé mardi que « des efforts devaient être mis en œuvre pour s’assurer que (le différend) soit résolu ».

Il a souligné que le Kenya avait été « très généreux et accommodant », en référence aux 200 000 réfugiés somaliens qui ont fui la Somalie en raison des shebab ou de sécheresses à répétition, et se sont installés dans les camps de Dadaab, dans l’est du Kenya.

« Des discussions sont en cours pour s’assurer que les relations se normalisent […] », a-t-il ajouté.

Processus électoral laborieux-

Les points de contentieux entre les deux pays ne manquent pas.  

L’un des principaux se situe au Jubaland, un État du sud de la Somalie, frontalier du Kenya. Le Kenya considère cette région comme une zone tampon entre son territoire et les shebab, affiliés à Al-Qaïda, et il soutient le président régional, Ahmed Madobe.

Ancien seigneur de guerre, ce dernier avait chassé en 2012 les shebab de leur bastion de Kismayo, la capitale régionale.

Les autorités du Jubaland avaient accusé Mogadiscio d’interférer dans l’élection du président de la région en 2019, pour évincer Ahmed Madobe et installer à sa place un allié. M. Madobe a finalement été réélu.

En mars, le Kenya avait accusé l’armée somalienne d’avoir pénétré en territoire kényan lors d’affrontements armés avec des troupes loyales au Jubaland.

Le Kenya et la Somalie s’opposent également sur la démarcation de leur frontière maritime, un différend de longue date qui porte sur la propriété de vastes secteurs maritimes de plus de 100 000 km², riches en gaz et pétrole.

Le climat est par ailleurs tendu en Somalie où la préparation d’élections présidentielle et législatives suscite de nouvelles frictions entre M. Farmajo et les leaders de plusieurs États régionaux, notamment le Puntland et le Jubaland.

Ces derniers reprochent en substance au gouvernement de noyauter les comités électoraux locaux afin d’influencer le résultat des élections.  

Le processus électoral a déjà pris du retard. L’élection présidentielle sera semblable à celle de 2017 : des délégués spéciaux, issus de la myriade de clans et de sous-clans somaliens, éliront dans les semaines à venir les 275 parlementaires de la chambre basse, qui à leur tour choisiront le président début 2021.