(Alger) Le très puissant chef d’état-major de l’armée, le général Ahmed Gaïd Salah, qui a dirigé de fait l’Algérie après la démission forcée en avril du président Bouteflika, est décédé lundi d’une crise cardiaque, quatre jours à peine après l’investiture du nouveau chef de l’État.

Comme un symbole, sa dernière apparition publique remontait au 19 décembre, lors de la cérémonie d’investiture du nouveau président Abdelmadjid Tebboune, élu une semaine plus tôt lors d’un scrutin que ce militaire de 79 ans avait imposé malgré l’opposition du mouvement populaire de contestation qui agite l’Algérie, le Hirak.

À cette occasion, M. Tebboune avait élevé le président par intérim Abdelkader Bensalah, mais aussi le général Gaïd Salah à la dignité de « Sadr » dans l’Ordre national du Mérite, traditionnellement réservé aux chefs de l’État.

Après avoir arraché en avril la démission du président Bouteflika, confronté à un mouvement populaire massif de contestation du régime, le général avait monopolisé la parole politique, apparaissant comme l’homme fort de fait de l’Algérie, face à un pouvoir civil intérimaire muet.

Visage du haut commandement militaire – pilier depuis l’indépendance en 1962 d’un régime algérien caractérisé par son opacité –, il a durant plus de 8 mois « suggéré » la marche à suivre au gouvernement, et tour à tour félicité ou mis en garde la contestation.

Combattants de l’indépendance

« Le vice-ministre de la Défense, chef d’état-major de l’armée, est mort lundi matin », a annoncé en matinée la télévision nationale Algérie 3, lisant un communiqué de la présidence.

Selon ce communiqué, publié ensuite par l’agence de presse officielle APS, le général Gaïd Salah est décédé à 6 h (5 h GMT) « des suites d’un arrêt cardiaque à son domicile avant d’être transféré à l’Hôpital central de l’Armée d’Aïn Naadja ».

« C’est là une douloureuse et tragique épreuve pour l’Algérie » qui « perd, en cette douloureuse circonstance, l’un de ses vaillants héros », indique la présidence, annonçant trois jours de deuil national.  

Depuis cette annonce, la télévision nationale alterne flashes spéciaux et images d’archives du défunt sur fond musical. Le coin de l’écran est barré de noir, avec en incrustation une photo du général Gaïd Salah faisant un salut militaire.

Né le 13 janvier 1940, engagé,  selon sa biographie officielle, dès l’âge de 17 ans au sein de l’Armée de libération nationale (ALN) combattant le pouvoir colonial français, Ahmed Gaïd Salah était l’un des derniers représentants au sein du pouvoir des anciens combattants de la Guerre d’indépendance. Un passé dont les dirigeants algériens ont longtemps tiré leur légitimité.

M. Tebboune, 74 ans, est, lui, le premier président algérien à n’être pas issu des rangs de ces anciens combattants.

« Chef suprême des Forces armées et ministre de la Défense », le chef de l’État a chargé le général Saïd Chengriha, commandant des Forces terrestres, d’assurer l’intérim du chef d’état-major de l’Armée nationale populaire (ANP).

Le général Chengriha, 74 ans, est à la tête des Forces terrestres depuis septembre 2018, à la faveur d’un vaste remaniement dans la haute hiérarchie militaire et sécuritaire.

« Coups de sang »

Les généraux Gaïd Salah et Chengriha « ont des profils similaires », tous deux issus des Aurès, région du nord-est de l’Algérie et terre de tribus chaouis (minorité berbérophone), souligne Moussaab Hammoudi, chercheur de l’École des Hautes études en Sciences sociales (EHESS) de Paris.

Le général Chengriha « était déjà pressenti pour remplacer le général Gaïd Salah », poursuit M. Hammoudi, qui rappelle qu’en Algérie, le chef des Forces terrestres succède traditionnellement au chef d’état-major.

Selon lui, le général Chengriha « n’a pas les coups de sang de Gaïd Salah et est un peu plus posé ».

Difficile de savoir si le décès soudain du général Gaïd Salah aura une influence sur l’installation au pouvoir et la marge de manœuvre du président Tebboune, réputé proche du défunt.

« Il va falloir attendre les premiers pas des uns et des autres », selon M. Hammoudi. « Beaucoup de scénarios sont possibles, mais tout sera fait pour qu’en apparence tout apparaisse normal », poursuit-il, car « le principal souci du haut commandement militaire est de maintenir la façade civile ».

Nommé chef d’état-major de l’armée en 2004 par le président Bouteflika, le général Gaïd Salah détient le record de longévité à ce poste et fut, sous sa présidence, un des personnages les plus puissants du cercle du pouvoir.

Il a été durant 15 ans un indéfectible soutien de M. Bouteflika avant de le contraindre à la démission pour tenter de calmer le Hirak, né un mois plus tôt de la volonté du président sortant de briguer un 5e mandat, décision qu’il avait lui-même ardemment soutenue.

Mais le général Gaïd Salah était vite devenu très impopulaire dans la contestation, apparaissant comme le garant de la survie du « système » qui dirige l’Algérie depuis 1962 et dont le « Hirak » entend obtenir le démantèlement.

L’agence APS a salué le « rôle pivot » joué par le défunt « au moment où l’Algérie traversait une étape décisive de son histoire », estimant qu’il n’avait jamais « cessé d’apporter son soutien au peuple ».