(CALABAR, Nigeria) On les accuse d’être possédés par des démons, d’être la cause de maladies et même parfois de causer la mort. Ils sont le pire cauchemar des habitants du détroit du Niger, dans le sud-est du Nigeria. Et pourtant, ils ne sont que des enfants.

Ils sont brûlés, battus et chassés de leur maison, souvent par leurs propres parents. Les « enfants sorciers », des jeunes accusés de tous les maux du monde, subissent les pires sévices au Nigeria.

« Il y a des enfants sorciers ici et ça me fait vraiment peur », affirme Inang, un père de famille interrogé par La Presse à l’extérieur de l’aéroport de Calabar.

Largement véhiculé dans l’industrie cinématographique Nollywood – le cinéma nigérian produisant 2500 films par année –, le concept de sorcellerie est un faux diagnostic pour de vrais problèmes qui frappent plusieurs catégories d’enfants. Il y a ceux avec des comportements agressifs, paresseux ou têtus, et d’autres, parfois aux prises avec un handicap physique ou mental.

Les accusations de sorcellerie sont souvent faites par des pasteurs qui, prétendant parler au nom de Dieu, les accusent d’être des sorciers. Une façon pour eux de fidéliser les parents à leur paroisse, de faire un peu d’argent, et de gagner de l’influence dans leur communauté. Mais les accusations viennent parfois aussi des parents eux-mêmes.

À 8 ans, Oqui en est déjà à sa neuvième vie. La petite s’est fait prendre à voler du pain au marché et, honteuse, sa mère aurait préféré la renier et raconter aux voisins que sa fille était une sorcière. « À partir de là, c’est devenu compliqué », raconte la fillette, le souffle court et le regard fuyant.

« J’ai survécu les six derniers mois par moi-même dans la rue. » — Oqui, une fillette de 8 ans accusée par sa mère d’être une sorcière

Lorsque Atim Eso, une intervenante sociale du refuge géré par la Basic Rights Counsel Initiative (BRCI), une ONG qui vient en aide aux enfants de la rue, l’a trouvée, elle gisait au sol, affamée, affaiblie et refroidie par la brise nocturne qui soufflait sur son corps d’enfant chétif. « Elle était sur le point de mourir. À l’hôpital, ils ont découvert qu’elle avait la malaria, la typhoïde et souffrait de malnutrition », dit-elle.

Une génération perdue

Oqui habite désormais au refuge exploité par l’ONG, qui tente de lui trouver une famille d’accueil. Si personne n’en veut, elle risque fort de se retrouver au même endroit que beaucoup des 119 « enfants sorciers » répertoriés ici depuis 2010 : au dépotoir.

Située juste en périphérie de la ville, la décharge de Calabar est aujourd’hui tristement célèbre pour être la maison des « skolombos », nom attribué aux enfants de la rue. Ils se sont construit de petites habitations en bois sans eau courante ni électricité, et survivent en recyclant le plastique et le fer qu’ils trouvent ici.

À 18 ans, Mary Achibo, qui vient d’accoucher d’un bébé mort-né, aimerait retourner à l’école, mais elle n’a aucune ressource pour y arriver. « J’ai besoin d’aide pour sortir d'ici. Je n’ai aucune ressource, personne ne m’aide. Si je reste ici, ça va mal finir, je le sais », dit celle qui habite le dépotoir depuis quatre ans.

Christian Andrew, chargé de projet pour la fondation Today for Tomorrow, une ONG qui vient en aide à ce groupe de jeunes, y voit le symbole d’une génération perdue. Des jeunes sans emploi, ni avenir ni aide gouvernementale.

« Si on ne règle pas ce problème aujourd’hui, il va y en avoir encore plus demain. C’est un phénomène en augmentation, et personne ne s’en occupe. » — Christian Andrew, chargé de projet pour la fondation Today for Tomorrow

L’ONG a entamé un projet pilote pour en accompagner certains. Une mission qui se révèle aussi noble que difficile.

Le constat de la fondation est dévastateur : sur les 49 enfants dont elle s’occupe, 7 sont atteints du VIH. Plusieurs jeunes filles, âgées de 12 à 15 ans, se retrouvent aussi mêlées à des réseaux de prostitution.

Le gouvernement prétend travailler activement pour mettre fin à cette croyance. Mais faute de ressources – l’État de Cross River est l’un des plus endettés du pays –, et aussi parce qu’il craint de se mettre une population à dos, peu d’actions concrètes sont mises en place.

La loi nigériane interdit pourtant d’accuser un enfant de sorcellerie. « Les policiers et les juges ne l’appliquent pas, pour la simple et bonne raison que plusieurs d’entre eux croient encore aux enfants sorciers », avance James Ibor, avocat et figure emblématique de la lutte pour les droits des enfants de la rue. « C’est une croyance populaire et pernicieuse. On n’aurait jamais pensé que cette bataille serait si longue », dit celui qui milite pour leurs droits depuis 2010.

Au coucher du soleil, La Presse accompagne Atim Eso et Oqui dans une ultime tentative pour convaincre la mère de reprendre la fillette.

Dans une discussion qui dure plus d’une heure, l’intervenante tente de raisonner la mère qui fuit le regard de sa fille et refuse une quelconque responsabilité dans cette affaire. « Elle me cause trop de problèmes, je ne veux pas la reprendre », dit-elle à l’intervenante devant la fillette, qui finit par craquer. Elle fond en larmes, s’agenouille devant sa mère, qui refuse de la reprendre et de reconnaître qu’elle l’accuse de sorcellerie. Nous repartons, à court de solutions.

« Je me demande si la mère pense vraiment que sa fille est une sorcière, ou si elle ne veut carrément juste pas s’en occuper parce qu’elle n’en a pas envie », dit Atim Eso.

Ce reportage a été réalisé grâce à une bourse du Fonds québécois en journalisme international.