Des heurts ont eu lieu pour une troisième nuit consécutive entre forces de l'ordre et jeunes dans plusieurs villes de Tunisie, où plus de 600 personnes ont été arrêtées depuis lundi, a indiqué jeudi le ministère de l'Intérieur.

Les autorités ont toutefois jugé que l'intensité des violences, alimentées par la grogne sociale qui perdure depuis des années, avait diminué.

Les troubles ont éclaté lundi alors que s'approche le septième anniversaire de la révolution tunisienne, qui réclamait travail et dignité et a entraîné la chute du dictateur Zine el Abidine Ben Ali le 14 janvier 2011.

Le mois de janvier est traditionnellement une période de mobilisation sociale en Tunisie, où le contexte est particulièrement tendu cette année en raison de hausses de prix, et des élections municipales - les premières de l'après-révolution - prévues en mai.

Depuis lundi, les troubles se déroulent essentiellement le soir et la nuit. Quelques manifestations pacifiques ont par ailleurs lieu de jour.

Jeudi midi, plusieurs dizaines de chômeurs se sont rassemblés dans le centre de Sidi Bouzid, ville pauvre du centre du pays d'où était parti le soulèvement de fin 2010, selon un correspondant de l'AFP.

Le mouvement de contestation contre la hausse des prix a été lancé en début d'année par la campagne «Fech Nestannew» («Qu'est-ce qu'on attend», ndlr). Ses militants ont appelé à un nouveau rassemblement jeudi en fin d'après-midi à Tunis pour réclamer la libération des manifestants pacifiques. Il a aussi appelé à une mobilisation vendredi.

«Vandales»

Les pillages et émeutes nocturnes ont obligé l'armée à se déployer autour de nombreuses banques, sièges des impôts et autres bâtiments sensibles.

Le gouvernement s'est jusque là montré ferme, condamnant le «vandalisme» et accusant les manifestants d'être manipulés par l'opposition.

Mercredi, 328 personnes ont été arrêtées pour des vols, pillages, incendies volontaires et blocages de route commis au cours des derniers jours, a indiqué à l'AFP le porte-parole du ministère de l'Intérieur, Khalifa Chibani.

Mais selon M. Chibani, «l'intensité des violences a diminué par rapport aux jours précédents».

Cela porte à plus de 600 le nombre de personnes interpellées depuis lundi. Mardi, 237 personnes avaient déjà été arrêtées, et 44 la veille, selon la même source.

La Tunisie est sous état d'urgence depuis plus de deux ans - une mesure prise après une série d'attaques djihadistes - et les forces de l'ordre disposent de pouvoirs d'exception.

Dans la nuit de mercredi à jeudi, des heurts ont notamment été rapportés dans la ville de Siliana (nord-ouest), ou à Kasserine, Thala et Sidi Bouzid, dans le centre marginalisé.

Des échauffourées ont également eu lieu dans plusieurs quartiers de Tunis et à Tebourba, à 30 km à l'ouest de la capitale, là où un homme est décédé lors des heurts de la nuit de lundi.

«Jeunes déçus»

Le principal poste de police de Thala a été incendié, a encore indiqué M. Chibani, ajoutant que 21 policiers avaient été blessés mercredi à travers le pays.

Il a assuré qu'aucun civil n'avait été blessé.

Les dessertes ferroviaires ont été annulées dans certaines zones après qu'un train a été attaqué en banlieue sud de Tunis mercredi soir, selon des médias locaux.

«Afin d'améliorer le pouvoir d'achat des citoyens», le syndicat patronal Utica a annoncé avoir avancé la date des soldes de 10 jours, au 20 janvier, en consultation avec le ministère du Commerce.

Après plusieurs années de marasme économique et d'embauches massives dans la fonction publique, la Tunisie, confrontée à d'importantes difficultés financières, a obtenu en 2016 un nouveau prêt du Fonds monétaire international (FMI), de 2,4 milliards d'euros sur quatre ans. Ce montant est débloqué en plusieurs tranches en échange d'un programme visant à réduire les déficits.

En dépit d'une reprise de la croissance, le dinar a dévissé ces derniers mois face au dollar, l'inflation a dépassé les 6 % fin 2017 et le budget de cette année prévoit de nouveaux impôts et des hausses de TVA qui viennent encore renchérir le coût de la vie.

Pour la politologue Olfa Lamloum, «la nouvelle loi de finances est la goutte d'eau qui fait déborder le vase» après un «approfondissement des inégalités sociales» - hausse du taux de pauvreté, du chômage et de l'illettrisme chez les jeunes notamment -.

La Tunisie depuis la chute de Ben Ali en janvier 2011

La Tunisie a été secouée par de fréquents troubles sociaux depuis la chute il y a sept ans de Zine El Abidine Ben Ali, chassé du pouvoir après un soulèvement qui a donné le coup d'envoi aux révoltes arabes.

Chute de Ben Ali

Le 14 janvier 2011, Ben Ali fuit pour l'Arabie saoudite après 23 ans au pouvoir à l'issue d'une révolte populaire déclenchée par l'immolation par le feu en décembre d'un jeune vendeur ambulant de Sidi Bouzid (centre-ouest), excédé par la pauvreté et les humiliations policières.

Victoire d'Ennahdha

Le 23 octobre 2011, le mouvement islamiste Ennahdha, légalisé en mars, remporte 89 des 217 sièges de l'Assemblée constituante lors des premières élections libres de l'histoire du pays.

En décembre, Moncef Marzouki, militant de gauche, est élu chef de l'État par la Constituante. Hamadi Jebali, n°2 d'Ennahdha, est chargé de former le gouvernement.

Troubles

En juin puis en août 2012, des manifestations violentes et des attaques de groupuscules islamistes radicaux se multiplient dans le pays.

En septembre, des centaines de manifestants dénonçant un film islamophobe sur internet, dont de nombreux jihadistes présumés, attaquent l'ambassade américaine. Quatre morts parmi les assaillants.

Du 27 novembre au 1er décembre 2012, des émeutes éclatent à Siliana, au sud-ouest de Tunis, faisant 300 blessés.

Depuis l'été, des grèves et des manifestations ont touché aussi bien l'industrie, les services publics que les transports ou le commerce, principalement dans l'intérieur du pays.

Assassinats d'opposants

Le 6 février 2013, l'opposant Chokri Belaïd est tué à Tunis. Le 25 juillet, le député Mohamed Brahmi est assassiné près de la capitale.

Les deux meurtres, qui provoquent de profondes crises, seront revendiqués par des jihadistes ralliés au groupe État islamique (EI).

Première présidentielle

Le 26 janvier 2014, une Constitution est adoptée, avec plus d'un an de retard. Un gouvernement de technocrates est formé et les islamistes se retirent du pouvoir.

Le 26 octobre, le parti anti-islamiste Nidaa Tounès de Béji Caïd Essebsi, qui regroupe aussi bien des figures de gauche et de centre droit que des proches du régime de Ben Ali, gagne les législatives.

Deux mois plus tard, Caïd Essebsi remporte la présidentielle.

Carnages

En 2015, l'EI, implanté en Libye voisine, commet trois attentats: le 18 mars contre le musée du Bardo à Tunis (21 touristes étrangers et un policier tunisien tués), le 26 juin, contre un hôtel près de Sousse (38 morts, dont 30 Britanniques), le 24 novembre contre la garde présidentielle (12 morts).

En mars 2016, des dizaines de jihadistes attaquent des installations sécuritaires à Ben Guerdane (sud).

Contestation

En janvier 2016, une vague de contestation débute à Kasserine (centre), après le décès d'un jeune chômeur, électrocuté alors qu'il protestait contre son retrait d'une liste d'embauche. La colère se propage dans de nombreuses régions, et les autorités décrètent un couvre-feu.

En mai 2017, un sit-in du site pétrolier El-Kamour (sud) dégénère en affrontements avec les forces de l'ordre. Un manifestant est tué par un véhicule de la gendarmerie, «accidentellement» selon Tunis.

Début décembre, des violences ont lieu à Sejnane (nord) après le décès d'une femme qui avait tenté s'immoler par le feu pour protester contre la suppression d'une aide sociale.

Contestation contre l'austérité

Le 14 décembre, le Fonds monétaire international estime que Tunis, qui a obtenu en 2016 une nouvelle ligne de crédits en échange d'un programme visant à réduire les déficits, a adopté un budget «ambitieux» pour 2018.

Le 1er janvier 2018, ce budget entre en vigueur, prévoyant des hausses d'impôts. Des manifestations pacifiques débutent.

Le 8, la contestation dégénère en émeutes, avec des heurts après la mort d'un homme durant une manifestation à Tebourba (ouest de Tunis).

Dans la nuit du 9 au 10, plus de 200 personnes sont arrêtées et des dizaines blessées lors de nouveaux troubles à travers le pays.

REUTERS

La Tunisie a été secouée par de fréquents troubles sociaux depuis la chute il y a sept ans de Zine El Abidine Ben Ali, chassé du pouvoir après un soulèvement qui a donné le coup d'envoi aux révoltes arabes.