La petite école de Dokki reste désespérément vide, comme la plupart des bureaux de vote du Caire. Jouées d'avance en faveur d'un président qui dirige l'Égypte d'une main de fer, les élections législatives en cours suscitent peu d'intérêt.

Car ce scrutin marathon, qui a débuté dimanche et s'étalera sur un mois et demi, se déroule sans opposition ou presque.

Et le président Abdel Fattah al-Sissi, l'ex-chef de l'armée qui a réduit au silence toute voix dissidente depuis qu'il a destitué en 2013 son prédécesseur islamiste Mohamed Morsi, jouit d'une popularité telle que même une partie de ses partisans se désintéresse d'un Parlement qu'ils perçoivent au mieux comme une chambre d'enregistrement inutile, au pire comme un fardeau pour le président.

«C'est la participation la plus faible» depuis 2011, s'amusait lundi une juge chargée de superviser le scrutin, dans la salle de classe déserte. Comme d'autres magistrats dans deux autres bureaux de vote visités par l'AFP, elle explique que la participation au premier jour dimanche n'a pas dépassé les 15 %.

Le premier ministre Chérif Ismaïl a d'ailleurs reconnu lundi soir que le taux de participation au premier jour se situait entre 15 et 16 %.

«Le phénomène principal qu'on constate, c'est la faiblesse de la participation», commentait dès dimanche le président du syndicat des juges Abdallah Fathi sur une chaîne de télévision privée.

Et lundi, le quotidien indépendant Al-Masri Al-Youm clamait en une: «Le peuple ignore les députés».

«Pour la gloire»

Avec plus de 1400 manifestants pro-Morsi tués, plus de 15 000 membres de sa confrérie des Frères musulmans ou sympathisants emprisonnés et des centaines condamnés à mort dans des procès de masse expéditifs, Abdel Fattah al-Sissii a éliminé, comme il l'avait promis, l'opposition islamiste.

Il s'en est pris ensuite à l'opposition laïque et libérale, en interdisant ses manifestations et en faisant arrêter les figures de la révolte populaire qui chassa du pouvoir Hosni Moubarak en 2011.

La majorité des Égyptiens voit toutefois M. Sissi comme le seul homme fort capable de sécuriser le pays et de restaurer une économie à genoux. L'idée que «l'Égypte n'a pas besoin de démocratie, mais d'un homme fort» est très répandue. Alors à quoi bon un Parlement ?

«Je ne vais pas voter, je ne veux pas prendre le risque d'avoir un Parlement qui paralyse le président», résume Ramadan Saïd, mécanicien de 41 ans, en passant devant un bureau de vote.

«Tous les candidats se présentent pour la gloire, pas pour développer le pays», lâche-t-il.

«Le pain avant le vote»

M. Sissi avait pourtant appelé samedi les Égyptiens à se rendre aux urnes.

Face à la faible mobilisation dimanche au premier jour, le gouvernement a donné aux salariés du secteur public une demi-journée de congé lundi pour aller voter, appelant le privé à «faciliter» la participation.

Pour le politologue Azmi Khalifa, «le taux de participation est très important pour le pouvoir: plus il sera élevé, plus la légitimité du président sera grande».

«Cela ne sert à rien de participer, les résultats sont connus d'avance», déplore Mohamed, 33 ans. «Il n'y a plus d'enthousiasme. Aux législatives de 2011, il y avait des queues devant les bureaux de vote, tout le monde voulait participer et donner son avis», se souvient le jeune homme, qui avait alors voté pour les Frères musulmans de M. Morsi, sortis victorieux du premier scrutin démocratique de l'histoire récente de l'Égypte.

«Ce Parlement sera comme ceux de Moubarak, il ne fera rien d'autre qu'approuver les décisions de ce régime répressif», accuse-t-il.

Sur les réseaux sociaux, des Égyptiens n'ont pas manqué de souligner la différence saisissante entre ce scrutin et celui de 2011 en partageant des photos des interminables files d'attente d'alors, même sous la pluie.

«Évidemment que je ne vais pas voter», s'amuse de son côté Mohamed Al-Chérif, 26 ans. «En 2011, les gens avaient de l'espoir, aujourd'hui ils l'ont perdu», ajoute le jeune homme qui a voté pour M. Sissi à la présidentielle de 2014, mais ne cache pas sa déception: «Il nous a fait beaucoup de promesses qui ne se sont pas concrétisées».

Un sentiment exprimé par le quotidien indépendant Al-Watan qui titrait lundi en une: «Le pain avant le vote».