La justice kényane a suspendu vendredi plusieurs articles clés d'une nouvelle loi controversée sur la sécurité, récemment adoptée dans la plus grande confusion par les députés et qui viole les droits fondamentaux selon ses détracteurs.

Le juge George Odunga de la Haute cour a annoncé que huit sections de la loi anti-terrorisme seraient suspendues en raison de risques pour les droits de l'homme.

Le tribunal avait été saisi par l'opposition qui a dit craindre que la loi ne soumette le pays en un régime policier, avec des atteintes aux droits fondamentaux des Kényans et à leurs libertés.

Le leader de l'opposition, Raila Odinga, s'est félicité de cette décision qui «marque un grand jour pour le Kenya». Ce «jour est historique», tout le monde craignait de revenir aux jours sombres de la torture et de la dictature», a commenté M. Odinga.

La législation avait été adoptée le mois dernier au Parlement dans la plus grande confusion: après un débat chaotique et un début de pugilat entre députés de l'opposition et de la majorité. Elle a été promulguée ensuite par le président Uhuru Kenyatta, selon qui la nouvelle loi «n'a qu'un objectif, un seul, protéger les vies et les biens de tous les citoyens».

Le gouvernement kényan, sous le feu des critiques pour son incapacité à endiguer la multiplication des attentats menés par les islamistes somaliens shebab sur son territoire, considère cette loi indispensable pour assurer la sécurité du pays.

Mais opposition et défenseurs des droits de l'homme estiment qu'elle porte atteinte aux libertés fondamentales garanties par la Constitution de 2010.

Le texte - qui modifie une vingtaine de lois existantes (Code pénal, de procédure pénale, du travail, des étrangers, etc.) - porte notamment de 90 à 360 jours la durée durant laquelle la police peut, avec l'autorisation d'un juge, détenir sans inculpation un suspect «d'actes terroristes». Il allonge également les peines de prison et facilite les écoutes téléphoniques.

Est également désormais passible de trois ans de prison, la publication d'articles ou reportages qui «gênent l'enquête ou des opérations liées à la lutte contre le terrorisme» ou d'images de «victimes d'attaques terroristes» sans l'accord de la police.

Ce dernier article fait partie des huit points suspendus par la Haute cour et «limitait la liberté d'expression», a estimé le juge George Odunga.

La Haute cour a également suspendu l'article de loi fixant à 150 000 au maximum le nombre de réfugiés autorisés à vivre au Kenya. Cet article «contredit les conventions internationales» sur les réfugiés, a souligné le juge Odunga.

Le pays compte actuellement plus de 600 000 réfugiés, notamment somaliens et sud-soudanais, dont beaucoup auraient donc été expulsés selon la nouvelle législation.

Crainte de retour à un «État policier»

Le Kenya est régulièrement la cible d'attaques et attentats des shebab, depuis qu'il a envoyé en octobre 2011 son armée combattre les islamistes dans le Sud somalien.

Début décembre, le ministre de l'Intérieur Joseph Ole Lenku et le chef de la police David Kimaiyo ont été limogés après un nouveau massacre des shebab dans le nord-est du Kenya. Une série de raids des islamistes somaliens sur la côte kényane et dans des zones frontalières de la Somalie ont fait plus de 160 morts depuis juin.

Une partie de la communauté musulmane au Kenya même s'est également radicalisée, en particulier sur la côte de l'océan Indien, faisant peser de lourdes menaces sur la sécurité du pays, avec en toile de fond de vives tensions autour de la question foncière et une corruption endémique.

Dans le débat sur la nouvelle loi, les pays occidentaux ont clairement exprimé leurs inquiétudes, jugeant qu'il était «important» que «tout en renforçant la sécurité, (le pays) respecte les droits de l'homme et les obligations internationales».

Des organisations comme Amnesty et Human Rights Watch (HRW) ont dit craindre un «retour à l'État policier», du temps de l'autocrate Daniel arap Moi (1978-2002). Les défenseurs des droits de l'homme dénoncent les abus et l'impunité des forces de sécurité - notamment accusées d'exécutions extrajudiciaires - dans la lutte antiterroriste.