Deux experts de l'ONU sur les exécutions sommaires et la torture ont dénoncé vendredi des entraves à leur mission sur la situation des droits de l'homme en Gambie où, en dépit de promesses officielles, ils ont été empêchés de visiter des lieux de détention.

Christof Heyns, expert indépendant de l'ONU sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires et arbitraires, et Juan Mendez, expert indépendant de l'ONU sur la torture, ont séjourné en Gambie de lundi à vendredi notamment pour «évaluer la situation» des droits de l'homme, à l'invitation du gouvernement, selon leur déclaration commune lue devant la presse à Banjul.

Ils devaient également «identifier les défis sur les questions de torture, traitements cruels, inhumains ou dégradants». Dans ce cadre, ils devaient avoir «accès à toutes les prisons, tous les centres de détention et tous les lieux d'interrogatoires» ainsi que des accès «confidentiels et sans surveillance» à différents interlocuteurs, y compris des détenus.

Mais leur mission a connu «de graves difficultés en matière d'accès sans conditions» à certains lieux et s'est déroulée «dans une très grande atmosphère d'inquiétude voire de peur, même pour ceux qui étaient à nos côtés», ont-ils expliqué.

Selon eux, les autorités leur ont refusé l'accès à certaines parties de la principale prison Mile Two. On leur a dit qu'ils n'étaient pas autorisés à visiter l'aile «haute sécurité», où sont détenus les prisonniers condamnés à de lourdes peines et ceux dans le couloir de la mort.

Face à cette interdiction d'accès, «on peut en conclure qu'il y a quelque chose de grave à cacher», ont-ils indiqué.

Ils ont dit avoir dû suspendre la visite de tous les lieux de détention, y compris dans des commissariats de police, et ne pas être en mesure d'évaluer de manière indépendante les conditions d'incarcération.

«Nombreux témoignages»

Cependant les experts ont pu rencontrer des personnes ayant été détenues dans ces lieux et ont «reçu de nombreux témoignages» sous couvert d'anonymat. Ceux-ci ont fait état notamment d'arrestations ou d'exécutions arbitraires - dont celle de neufs détenus en août 2012 ayant suscité un tollé mondial -, de disparitions forcées d'opposants, de journalistes, membres des forces de défense et de sécurité, défenseurs des droits de l'homme. Ces opérations impliquent des escadrons paramilitaires surnommés «les jongleurs».

Juan Mendez a précisé avoir découvert que la torture était une pratique courante des membres de l'Agence nationale du renseignement (NIA). «Parfois, ils utilisent des câbles électriques pour battre les victimes. Dans certains cas, ils les enterrent jusqu'au torse et les torturent pendant toute la durée de leur interrogatoire», a-t-il affirmé.

Les deux experts ont affirmé avoir pu rencontrer des représentants d'ONG locales, de l'ONU, des diplomates ainsi que des autorités politiques, judiciaires et militaires, dont la vice-présidente, mais n'ont pas été reçus par le président Yahya Jammeh.

Porté au pouvoir par un coup d'État en 1994, M. Jammeh dirige la Gambie d'une main de fer. Son régime est régulièrement accusé d'atteinte aux droits de l'homme et à la liberté d'expression par des défenseurs des droits de l'homme et de la presse.

Dans un communiqué diffusé par le Commissariat de l'ONU aux droits de l'homme (OHCHR), les deux experts affirment qu'en dépit des difficultés sur le terrain, ils ont bon espoir que les autorités respecteront leurs promesses de ne pas mener de représailles contre leurs interlocuteurs sur place.

Ils ont aussi réclamé des enquêtes sur des allégations de violations des droits de l'homme et les assassinats non élucidés, des poursuites contre les auteurs d'actes criminels et la fin de l'impunité.

«Nous allons continuer à collaborer avec le gouvernement et toutes les parties» concernées «avant de présenter nos rapports finaux» au Conseil de sécurité de l'ONU en mars et juin 2015, ont-ils dit.

De son côté, Amnesty International a fustigé les entraves à la mission des experts de l'ONU, estimant que «la Gambie a de nouveau démontré son mépris flagrant des droits de l'homme», dans un communiqué transmis à l'AFP à Dakar.