Déjà la plus meurtrière de l'histoire, l'épidémie d'Ebola qui frappe actuellement l'Afrique de l'Ouest est maintenant «hors de contrôle», selon Médecins sans frontières (MSF). Sur le terrain, le travail des intervenants est compliqué par la multiplication des foyers d'infection et par une barrière culturelle qui suscite la méfiance de la population. Portrait de la situation en quatre questions.

Q : Quel est le bilan actuel?

R : Les derniers chiffres de l'Organisation mondiale de la santé font état de 599 cas probables ou confirmés, dont 338 décès. Cette épidémie, dont les premiers cas ont été recensés en février, est déjà la plus meurtrière depuis l'apparition du virus Ebola, en 1976. Après une période de stagnation entre avril et mai, le rythme d'infection s'accélère depuis la fin du mois de mai.

«L'épidémie est hors de contrôle, tranche le Dr Bart Janssens, directeur des opérations de MSF, dans un communiqué. Avec l'apparition de nouveaux foyers en Guinée, en Sierra Leone et au Liberia, le risque d'une propagation à d'autres zones est aujourd'hui réel.»

Q : Pourquoi la lutte est-elle si difficile?

R : D'abord parce que le nombre de foyers d'infection - MSF en dénombre maintenant 60 dispersés en Guinée, en Sierra Leone et au Liberia - est sans commune mesure avec les épidémies précédentes. Les équipes ne peuvent intervenir partout. «Nous avons atteint nos limites», a avoué MSF dans un communiqué.

Pour compliquer les choses, il existe cinq espèces du virus Ebola, et celui qui se répand actuellement est le plus mortel.

C'est aussi la première fois que l'Ebola frappe cette région de l'Afrique. «Les populations n'étaient pas prêtes, et on ne change pas une culture et des façons de faire en trois semaines», a résumé à La Presse Walter Lorenzi, chef de mission de MSF en Sierra Leone.

Les rites funéraires pendant lesquels les gens touchent le défunt représentent encore le principal mode de propagation du virus, selon Tim Jagatic, un médecin canadien de MSF.

«Le virus n'est pas si contagieux, mais c'est justement au moment du décès que la charge virale est la plus forte», explique-t-il.

Q : Comment la population réagit-elle?

R : «Il y a une réaction de panique», dit le Dr Tim Jagatic, qui explique que les gens touchés invoquent souvent la sorcellerie ou un «acte de Dieu» pour expliquer le fléau.

Walter Lorenzi parle carrément «d'hostilité» envers les intervenants venus soigner les malades.

«Il faut les comprendre, dit Reine Lebel, psychologue canadienne qui revient d'une mission en Guinée pour MSF. On débarque avec nos combinaisons d'extraterrestres, et 90% des gens qui entrent dans nos centres en ressortent morts, emballés dans des sacs de plastique.»

Sur place, Mme Lebel tentait de gagner la confiance des chefs de village ou des guérisseurs dans l'espoir qu'ils convainquent à leur tour la population.

«C'est un long travail, mais c'est la seule manière de faire en sorte que les gens nous acceptent», dit-elle, rappelant qu'un malade qui a peur ne se fera pas traiter et contaminera d'autres personnes.

Q : Viendra-t-on à bout de cette épidémie?

R : «Il faut garder espoir. Mais ce ne sera pas tout de suite», répond Walter Lorenzi, qui croit que le rythme actuel avec lequel se déclarent les nouveaux cas est encore beaucoup trop élevé pour envisager une sortie de crise.

Les intervenants sont formels: la seule façon de freiner l'épidémie est une campagne de sensibilisation massive dans toute l'Afrique de l'Ouest pour éduquer la population et changer les comportements. Or, pour ne pas nuire à l'économie et pour paraître en contrôle, les politiciens locaux ont encore tendance à minimiser l'ampleur des problèmes.

«Une réelle reconnaissance de l'ampleur de cette épidémie par la société civile et les autorités politiques et religieuses fait encore défaut. Très peu de personnalités influentes se sont fait le relais de messages encourageant la lutte contre la maladie», déplore MSF.