La Constituante tunisienne, où les islamistes d'Ennahda sont majoritaires, a adopté samedi les premiers articles de la future Constitution, garantissant la liberté de conscience et rejetant l'islam comme source de droit, conformément à un compromis avec l'opposition.

La Constituante tunisienne, où les islamistes d'Ennahda sont majoritaires, a adopté samedi les premiers articles de la future Constitution, garantissant la liberté de conscience et rejetant l'islam comme source de droit, conformément à un compromis avec l'opposition.

Ennahda s'était rangée dès le printemps 2012 derrière la formulation de l'article Premier, déjà inscrite dans la Constitution de 1959, renonçant ainsi à introduire la charia (loi islamique) dans la Loi fondamentale.

Les deux premiers articles, non amendables, définissent la Tunisie comme une République guidée par la «primauté du droit», un État «libre, indépendant, souverain» et «civil» dont la religion est l'islam.

Deux amendements, l'un proposant l'islam et l'autre le Coran et la sunna (ensemble des paroles du Prophète, de ses actions et de ses jugements) comme «source principale de la législation», ont été rejetés.

L'ANC, qui avait approuvé samedi en début de soirée douze articles, a aussi consacré l'État comme «garant de la liberté de conscience», malgré la vive opposition de certains élus.

Azed Badi du parti Wafa, proche des islamistes, a estimé que cette liberté permettrait «aux satanistes, à l'idolâtrie d'organiser des manifestations publiques (...) pour propager leurs croyances».

«Ceux qui s'opposent à la liberté de conscience veulent nous ramener à des périodes noires de l'Histoire où des tribunaux inspectaient la conscience des gens», a répliqué Iyed Dahmani, un député de l'opposition laïque.

Ce même article définit aussi l'État comme «protecteur du sacré», une formulation vague critiquée par des ONG craignant l'interprétation qui pourrait être faite d'une notion qui n'a pas été définie.

«Il faut lever le flou (...) sur l'article 6 qui donne à l'État le droit de parrainer la religion et de protéger le sacré, ce qui peut aboutir à des interprétations menaçant la citoyenneté, les libertés», a estimé samedi la Ligue tunisienne des droits de l'Homme.

Un total de 146 articles et quelque 250 amendements doivent être étudiés pour permettre l'adoption de la loi fondamentale avant le 14 janvier, 3e anniversaire de la révolution qui marqua le début du Printemps arabe.

Compte tenu de ce calendrier serré, la séance de samedi doit s'achever samedi à 23H00 (22H00 GMT). Elle reprendra dimanche à 09H00 GMT.

Une journée moins chaotique

Selon plusieurs partis, un consensus assez large a été négocié pour permettre l'adoption du texte à la majorité des deux tiers des 217 élus et éviter la tenue d'un référendum.

Après une première journée de débats très chaotiques vendredi, marquée par les disputes entre élus et les interruptions d'audiences, les discussions se sont peu à peu apaisées samedi malgré quelques coups d'éclat.

Des médias avaient vivement critiqué le comportement des élus, le quotidien La Presse s'indignant des «scènes désolantes» de vendredi et d'un hémicycle «où tous les coups bas sont permis».

L'adoption de la Constitution, puis d'une loi et d'une commission électorales avant le 14 janvier, sont les clefs de voûte d'un accord entre opposants et Ennahda pour résoudre une profonde crise déclenchée par l'assassinat le 25 juillet du député de gauche Mohamed Brahmi, le deuxième meurtre en 2013 attribué à la mouvance djihadiste.

À l'issue de ce processus, Ennahda s'est engagé à céder la place à un gouvernement d'indépendants dirigé par l'actuel ministre de l'Industrie, Mohamed Jomaâ.

Le premier ministre islamiste Ali Larayedh a accepté de démissionner une fois que l'ANC aura achevé ses travaux. Le principal médiateur de la crise, le syndicat UGTT, réclame son départ le 9 janvier au plus tard.

«Nous n'avons pas reçu la démission (...) il a jusqu'au 9 janvier», a indiqué samedi le chef de l'UGTT, Houcine Abassi. Jusqu'alors la date limite annoncée était le 8 janvier.

Élue en octobre 2011, la Constituante devait achever sa mission en un an, mais le processus a été ralenti par un climat politique délétère, l'essor de groupes djihadistes armés et des conflits sociaux.

Ses travaux ont aussi été minés par l'absentéisme des élus, des erreurs de procédures et un boycottage de l'opposition de plusieurs mois après l'assassinat de Mohamed Brahmi.

Les détracteurs d'Ennahda jugent les islamistes responsables, au moins par leur laxisme, de l'essor de la mouvance djihadiste.