Le Kenya enterrait jeudi les victimes du carnage du centre commercial Westgate à Nairobi, alors qu'émergent de terrifiants et nouveaux témoignages sur l'attaque du commando islamiste.

Les drapeaux étaient en berne dans tout le pays, au deuxième jour de deuil national décrété par le président Uhuru Kenyatta, en hommage aux 67 morts dont les corps ont été jusqu'à présent récupérés du Westgate ravagé par les combats et les flammes.

L'attaque du centre commercial à l'arme automatique et à la grenade par un commando de dix à quinze hommes avait été revendiquée par les shebab somaliens, liés à al-Qaïda, en représailles à l'intervention de troupes kényanes dans le sud de la Somalie.

Le drame vécu par une trentaine d'enfants qui participaient sur le toit du centre commercial à un concours de cuisine au moment de l'assaut a bouleversé encore un peu plus le pays.

Plus de 2000 personnes ont ainsi rendu hommage à une populaire animatrice de radio, d'origine indienne, Ruhila Adatia, 31 ans, enceinte, fauchée par les balles alors qu'elle participait à ce concours.

«J'avais 30 à 35 enfants avec moi. (...) Après la première explosion, les enfants hurlaient, les tirs ont commencé», a raconté Kamal Kaur, une collègue de Ruhila, au quotidien national The Standard .

«En l'honneur de nos proches disparus»

Kamal a raconté s'être plaquée contre un mur, tentant d'arrêter le sang coulant de la nuque d'un garçonnet blessé. On ignore avec précision combien d'enfants ont été tués. Ruhila Adatia, elle, n'en a pas réchappé.

Elle a été inhumée en même temps qu'une autre victime, Shairoz Dossa, 44 ans, mère de trois enfants, comme elle de confession ismaélienne.

La une du Standard était barrée d'une rose rouge avec le titre «En l'honneur de nos proches disparus».

Dans plusieurs quartiers de la capitale, des familles endeuillées ont enterré leurs proches. Plusieurs cellules de soutien psychologique ont été mises en place, notamment à la morgue principale de Nairobi.

Dans le centre commercial toujours interdit à la presse, les secouristes et les enquêteurs continuaient jeudi de fouiller le bâtiment dévasté d'où s'élevaient toujours de fines volutes de fumée.

Le toit servant de stationnement avait partiellement cédé mardi après un incendie, la chute de tonnes de béton faisant s'effondrer trois étages sous les carcasses de véhicules carbonisées.

Après presque 80 heures de carnage, le président kényan Uhuru Kenyatta avait annoncé mardi soir la fin du siège du Westgate et un bilan dramatique : au moins 61 civils tués, ainsi que six membres des forces de sécurité, et quelque 240 blessés.

Cinq assaillants ont été tués, et onze suspects sont en détention.

La police a précisé que le bilan était provisoire. La Croix-Rouge a compté 71 disparus, dont certains, ainsi que des assaillants, pourraient se trouver ensevelis sous les gravats.

Se voulant rassurant, le ministre de l'Intérieur Joseph Ole Lenku a affirmé qu'il ne reste que peu de corps dans les ruines noircies par les flammes, parsemées de débris indistincts.

«Problème sur le nombre d'otages»

Ces déclarations ont été accueillies avec scepticisme par la presse et les réseaux sociaux kényans.

Le quotidien Daily Nation estimait jeudi qu'«il y a un gros problème sur le nombre d'otages qui pourraient avoir été tués dans les échanges de tirs» entre assaillants et forces de l'ordre «et dans l'effondrement des étages». Et sur Twitter, les questions fusaient, comme : «Si des otages ont été secourus, où sont-ils?»

Le leader des shebab, Ahmed Abdi Godane, a déclaré mercredi soir que le carnage était «un message» au Kenya, dont les troupes combattent depuis fin 2011 les insurgés en Somalie dans le cadre d'une force de l'Union africaine, et «aux Occidentaux qui ont soutenu l'invasion kényane» et la financent.

«Retirez vos troupes (...) ou attendez-vous à d'autres bains de sang», a-t-il menacé.

Des enquêteurs de plusieurs pays - Royaume-Uni, États-Unis, Israël, Allemagne et Canada - et d'Interpol participent à l'enquête sur le site, où les démineurs ont procédé à une explosion contrôlée en fin de matinée, selon un photographe de l'AFP.

Selon le ministre de l'Intérieur, l'enquête «durera au moins une semaine». Outre le nombre de victimes, l'identité des assaillants reste controversée, certaines sources évoquant des Américains ou des Britanniques parmi eux.

À Nairobi où vivent de nombreux étrangers, le Westgate était régulièrement cité par les sociétés de sécurité comme une cible possible de groupes liés à Al-Qaïda, tels les shebab.

La sécurité a été renforcée dans les principales villes, les aéroports et aux frontières. Mais deux policiers et un civil ont encore péri dans deux incidents séparés dans le Nord-Est la nuit dernière, sur la frontière somalienne chroniquement instable.

Même si la classe politique n'a eu de cesse d'appeler à l'unité, l'attaque du Westgate pourrait relancer les tensions ethnico-religieuses entre chrétiens largement majoritaires et musulmans, dont une grande partie sont d'origine somalienne.