Depuis une semaine, les projecteurs sont braqués sur la mine de Marikana où un affrontement entre policiers et grévistes a fait plus de 30 morts. En Afrique du Sud, le conflit rouvre de vieilles plaies encore mal guéries.

Quelques taches de sang sur l'herbe jaune, une veste déchirée, une chaussure abandonnée... Ce sont les seules traces encore visibles du drame qui s'est déroulé jeudi dernier près d'une mine de platine de Marikana. Mais dans les esprits persiste une image que l'Afrique du Sud pensait ne plus devoir affronter, une image qui réveille les fantômes de l'apartheid, plus de 20 ans après son abolition.

C'est ici, à une centaine de kilomètres au nord-ouest de Johannesburg, au pied d'une colline aujourd'hui déserte, que la police sud-africaine a ouvert le feu sur une foule de mineurs en grève. Bilan: 34 morts et au moins 78 blessés. L'intervention policière la plus meurtrière depuis la fin de l'apartheid.

Qui a tiré le premier? Personne ne le sait pour l'instant. La police assure avoir agi en état de «légitime défense», alors que deux policiers avaient été frappés à mort par les manifestants quelques jours avant. Mais beaucoup dénoncent une réponse disproportionnée des forces de l'ordre mal entraînées. La commission d'enquête annoncée par le président Jacob Zuma devrait tenter de faire la lumière sur les événements.

Souvenirs de Sharpeville

Dans le pays, le drame réveille les douloureux souvenirs de la répression meurtrière dans les townships à l'époque de la ségrégation raciale. Au lendemain de la fusillade, la presse sud-africaine allait jusqu'à comparer Marikana au massacre de Sharpeville, qui avait fait 69 morts en 1960, ou aux émeutes de Soweto en 1976. À la grande différence que les policiers sont aujourd'hui majoritairement noirs.

«Il ne faut pas comparer ce qui ne peut pas l'être. Bien sûr, ce qui s'est passé est une tragédie. Mais nous ne sommes plus dans un cas de figure où une population entière se voyait privée de ses droits fondamentaux, nuance l'analyste politique Steven Friedman. La police sud-africaine est mal préparée à la gestion des foules et il va falloir tirer les leçons de ce drame. Ce sera possible parce que, justement, l'Afrique du Sud est aujourd'hui une démocratie.»

Hier, la situation était calme à Marikana. Plusieurs véhicules de police patrouillaient aux abords de la mine, tandis que quelques centaines de mineurs, en grève depuis 10 jours, s'étaient rassemblés, assis sur l'herbe. Mais le conflit est loin d'être réglé. La direction de Lonmin, numéro trois mondial du platine, a intimé l'ordre aux 28 000 mineurs de retourner au travail sous peine d'être licenciés. Si certains ont cédé, la majorité d'entre eux semble déterminée à poursuivre le combat. La société leur donne jusqu'à la semaine prochaine pour changer d'avis.

«Être payés décemment»

«Nous faisons un métier pénible, huit heures par jour, sous terre, dans l'obscurité et la poussière. Nous méritons d'être payés décemment», dit un mineur qui refuse de donner son nom par peur de représailles et dit toucher actuellement 4500 rands par mois, soit environ 540 dollars canadiens.

La plupart des familles des ouvriers vivent dans un township situé à proximité de leur lieu de travail. Un amas de cabanes faites de tôle et de bois, sans eau ni électricité. «Nous avons à peine de quoi nourrir nos enfants», affirme Puseletso Dinewo, dont le frère a été blessé dans la fusillade. Comme toutes les personnes présentes, elle dit «soutenir les grévistes dans leur combat».

«Les sociétés minières font un profit énorme, tandis que les mineurs vivent dans des conditions déplorables», constate John Capel, président de la Fondation Bench Marks qui a publié récemment un rapport sur les conditions de vie et de travail des mineurs de fond. «Il y a une tendance, en Afrique du Sud, à toujours voir les travailleurs noirs comme de la main-d'oeuvre bon marché. Beaucoup d'entreprises se sont enrichies grâce à ça et continuent de le faire.»

Les mineurs réclament actuellement un salaire de 12 500 rands (1500 dollars CAN). Une hausse substantielle promise par le Syndicat de l'association des mineurs et de la construction (Acmu), qui a vu son influence grandir en même temps que les frustrations d'une partie de la population. Plus radical, il est en rivalité avec le Syndicat national des mineurs (NUM), proche de l'ANC, parti au pouvoir en Afrique du Sud.

Avant ce jeudi noir, les violences liées à la grève et à ce conflit avaient déjà fait 10 morts. «Nous ne pouvons pas retourner travailler et prétendre que rien ne s'est passé, dit un gréviste. Tout ce sang ne peut avoir été versé pour rien.»