Pour se faire justice eux-mêmes, des habitants de townships sud-africains ont redécouvert le supplice du collier, populaire dans les dernières années de l'apartheid: il s'agit d'enflammer un pneu aspergé d'essence, après l'avoir passé autour du cou du coupable désigné.

Dans le bidonville de New Brighton, à la périphérie de la ville industrielle de Port Elizabeth (sud), deux hommes se sont introduits chez une vieille dame un soir de juin, ont volé sa télévision et poignardé à mort son locataire qui tentait de la défendre.

Le lendemain matin, les voisins ont retrouvé les voleurs présumés et leur ont fait subir le fameux supplice.

«Ces garçons posaient problème depuis longtemps. Ils nous terrorisaient», a expliqué à l'AFP un habitant sous couvert d'anonymat.

«J'ai juste vu les pneus mis autour de leur cou, l'essence a été versée, et ils ont été immolés. Quand ils brûlaient, les gens criaient toutes sortes d'insultes et puis ça a été fini... Tout s'est passé si vite, comme dans un film!»

Le supplice du collier est un sinistre héritage des violences qui ont endeuillé les townships sud-africains dans les années 1980. On le faisait subir à ceux qui trahissaient la lutte contre la minorité blanche, ou parfois à de vulgaires criminels condamnés par des «tribunaux populaires».

Depuis juin, il est réapparu à Port Elizabeth comme une nouvelle forme de justice populaire, commune dans les townships où l'inefficacité de la police alimente bien des frustrations.

«En moins de deux semaines, nous avons eu une demi-douzaine de cas de ce genre», a expliqué le porte-parole de la police Dumile Gwavu.

«Dans trois cas, la police n'a pas pu sauver les victimes, et dans d'autres incidents, les policiers sont arrivés sur les lieux juste à temps avant que les gens ne soient tués. Plusieurs victimes avaient de l'essence partout sur elles, d'autres avaient été lapidées.»

Les statistiques de la police montrent que 5% des très nombreux meurtres commis en Afrique du Sud sont le fruit de cette justice expéditive.

Bien sûr, dans le cas de New Brighton, les habitants ont eu quelques doutes quant à la culpabilité des deux hommes, ou au bien-fondé de leur hâtive condamnation à mort.

Le témoin qui a parlé à l'AFP affirme que l'un d'entre eux portait les vêtements du locataire qui avait été tué.

«Quand nous apportons ces criminels à la police, ils sortent le lendemain, et commettent à nouveau des crimes. Nous en avons assez des affaires judiciaires qui ne vont jamais nulle part», a-t-il dit.

«Si la situation ne change pas, alors nous le referons», avertit-il.

Selon le policier Gwavu, personne n'a été arrêté parce que les habitants se protègent les uns les autres.

«Nous avons eu des réunions pour essayer d'expliquer aux gens qu'ils ne peuvent pas rendre la justice eux-mêmes, mais jusqu'ici, ces réunions ont été tendues. Les habitants sont toujours en colère et ne font pas confiance à la police», a-t-il déploré.

«La société tente de s'organiser quand les gens se sentent frustrés» parce que le système judiciaire les a laissés tomber, constate tristement Nomfundo Mogapi, au Centre d'étude de la violence et la réconciliation «Parce que notre histoire est violente, les gens sentent que la violence est la seule façon pour se faire écouter des hommes politiques, des fonctionnaires ou des policiers», ajoute la chercheuse, observant que les formes de violences sont les mêmes que sous l'apartheid.

Comme avant, on brûle les bâtiments officiels, on lapide les voitures de police, on érige des barricades et... on redécouvre le supplice du collier.