Le président Zine El Abidine Ben Ali, qui a fui vendredi la Tunisie, a régné sur le pays pendant 23 ans d'un pouvoir sans partage, bâtissant son régime sur un équilibre entre poigne de fer et prospérité qui s'est finalement rompu, causant sa chute.

Considéré à l'extérieur comme un rempart efficace face aux islamistes en dépit de critiques -souvent timides- sur la lenteur de la démocratisation et les atteintes aux droits de l'homme, l'incontournable président, 74 ans, avait été réélu pour un cinquième mandat en octobre 2009 avec près de 90% des voix. Un scrutin critiqué par l'opposition et qui avait «préoccupé» les États-Unis.

Lorsqu'il dépose Habib Bourguiba, père de l'indépendance malade et reclus dans son palais, le 7 novembre 1987, tous les Tunisiens, y compris les islamistes, saluent une prise du pouvoir «sans violence ni effusion de sang», bien que décrite par certains comme un «coup d'État médical».

Ses partisans saluent en ce militaire «le sauveur» d'un pays alors à la dérive et lui reconnaissent d'avoir jeté les bases d'une économie libérale et étouffé dans l'oeuf le parti islamiste Ennahdha, accusé de complot armé.

Dès son arrivée au pouvoir, M. Ben Ali supprime la «présidence à vie» instituée par Bourguiba et limite dans un premier temps à trois le nombre de mandats présidentiels.

À son actif, une politique sociale dite de «solidarité», avec la création d'un fonds spécial destiné aux plus pauvres ou le développement d'un système de sécurité sociale, et la poursuite des politiques favorables à l'émancipation des femmes et à l'éducation initiées par son prédécesseur.

Ces avancées, qui conquièrent une classe moyenne montante, s'accompagnent d'un durcissement du régime face à toute force d'opposition, émanant de la gauche ou des islamistes, arrêtés par milliers dans les années 1990, et d'une mainmise sur la presse et les syndicats dénoncée par des adversaires pour la plupart en exil.

Issu d'une famille modeste né de la ville côtière de Hammam Sousse, c'est un militaire de carrière formé à l'École inter-armes de Saint-Cyr en France et à l'École supérieure de renseignement et de sécurité aux États-Unis.

Devenu rapidement général, il est nommé patron de la sûreté nationale après des émeutes en 1984, puis ministre de l'Intérieur, poste qu'il cumule en mai 1987 avec celui de premier ministre jusqu'à la destitution de Bourguiba.

Se disant favorable à une démocratisation «sans précipitation», M. Ben Ali introduit en 1994 le pluralisme à petite dose au parlement et organise en 1999 la première présidentielle pluraliste de l'histoire de la Tunisie.

Revêtant parfois la «Jebba» traditionnelle, il encourage un islam modéré, protège le judaïsme et se dit attaché à la modernité.

Père de six enfants, dont trois d'un premier mariage, il apparaît souvent accompagné de son épouse Leïla, dont la présence dans la vie politique et sociale est de plus en plus remarquée, alors que sa belle famille est accusée de mainmise sur l'économie.

En 2002, il fait sauter le dernier verrou empêchant son maintien au pouvoir en faisant adopter par référendum une modification constitutionnelle lui permettant de se représenter.

À la fin des années 2000 son régime est dénoncé comme «autoritaire» par les organisations de défense des droits de l'Homme. En juin 2008, notamment, il fait mater par l'armée des émeutes sur fond de chômage et de népotisme, dans le sud-ouest frondeur.

Pour ses alliés occidentaux, M. Ben Ali incarne la stabilité dans un pays prisé par des millions de touristes européens et pour lequel l'ancienne puissance coloniale française reste un partenaire privilégié.

Il aura finalement chuté sur un nouveau mouvement de révolte d'abord sociale, parti du suicide mi-décembre d'un des nombreux diplômés chômeurs du pays, empêché d'exercer comme marchand ambulant par les forces de l'ordre.

Face aux émeutes qui s'étendent, jusqu'à gagner la capitale, Zine El Abidine Ben Ali, aura tenté tour à tour la répréssion sanglante puis les promesses, d'abord économiques et enfin d'ouverture politique. En vain.