Pour mettre fin à l'épidémie d'enlèvements d'étrangers, un front commun musclé a été organisé par les pays du Sahel pour lutter contre la branche maghrébine du mouvement Al-Qaïda. Malgré les succès militaires, les habitants paient cher les méfaits des émules de ben Laden. Un exemple: celui de la Mauritanie, prise à la gorge entre un sentiment de paranoïa et une économie en débâcle. Notre collaborateur est allé voir sur place.

Octobre sonne habituellement le début de la saison touristique en Mauritanie, pays désertique coincé entre l'Afrique de l'Ouest et le Maghreb. Mais depuis deux ans, les hôtels restent vides.

«Les affaires vont très mal depuis les attaques terroristes. Ici, on a la chance d'avoir encore des gens d'affaires. Mais à l'extérieur, le tourisme est mort», raconte la gérante d'un petit hôtel de la capitale Nouakchott.

Depuis 2007, les attentats se sont multipliés. Soldats décapités, attentats suicide, kidnappings et assassinats d'étrangers. Malgré quelques actes commis par des islamistes isolés, la plupart des attentats ont été revendiqués par Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) qui sévit partout au Sahel.

Cette année, devant la menace, la région s'est organisée pour chasser les islamistes, remportant un certain succès sur le terrain. Mais la terreur qu'ont semée les terroristes sur leur passage laisse des marques.

En 2006, la région de l'Adrar, petit paradis avec ses oasis en plein désert, recevait à elle seule plus de 12 000 des 40 000 touristes visitant la Mauritanie. Après les premiers attentats de 2007, tous les voyagistes ont abandonné les dunes et les villes anciennes du pays. L'annulation du célèbre rallye automobile Paris-Dakar a enfoncé le clou. Il y aurait eu moins de 1000 touristes en 2008.

Timidement, le président de Point Afrique, coopérative de voyageurs française, a annoncé récemment la reprise des vols vers la Mauritanie, allant à l'encontre des restrictions de voyages draconiennes prises par les gouvernements étrangers. Un faible espoir alors qu'il y a peu de signes de relance de ce pilier de l'économie mauritanienne.

Aleg, ville traumatisée

Aleg, ville de 12 000 habitants à 200 km de la capitale, est restée marquée par l'assassinat de quatre touristes. Arrêtés sur le bord de la route le 24 novembre 2007, quatre Français ont été abattus en plein jour par trois extrémistes religieux qui les suivaient. AQMI a revendiqué cette attaque l'an dernier. Plusieurs meurtres et enlèvements de travailleurs humanitaires, de touristes et de Mauritaniens ont suivi.

Même si la ville est un important point de transit pour le Mali, Aleg est devenu une ville fantôme. «Les gens ne se remettent pas des attentats. On ne comprend pas ce qui s'est passé», explique Aminetou Mint Maouloud, députée de la région à l'Assemblée nationale.

En Mauritanie, il est commun d'inviter des inconnus chez soi. Pourtant, Mme Maouloud avoue éprouver des difficultés à le faire maintenant. «Un homme s'est présenté comme étant un parent. Avant de l'accueillir chez moi, j'ai fait le tour de la famille pour m'assurer qu'il nous était bien apparenté. J'hésitais à appeler la police par crainte qu'il ne soit mauvais. Je n'aurais jamais fait ça avant», confie-t-elle.

Sécurité

À Nouakchott, la capitale, on assiste à une surenchère sécuritaire: les contrôles se sont renforcés et les détecteurs de métaux se sont multipliés. Plusieurs restaurants fréquentés par les étrangers ont barricadé leurs portes. «Maintenant, personne n'est en sécurité en Mauritanie», déplore Aminetou Mint El Moctar, présidente d'une association de défense des droits de la personne.

Selon elle, le terrorisme a détruit la cohésion sociale. «Le simple citoyen est contre AQMI. Ce qui m'inquiète, c'est ce qui se passe en dessous. Il y a une nouvelle tendance à blâmer le gouvernement ou les étrangers, surtout occidentaux, plutôt que de blâmer AQMI», explique Mme El Moctar.

Les extrémistes religieux récupèrent cette frustration. Depuis le coup d'État de 2008, plusieurs citoyens manifestent leur désoeuvrement en s'alignant sur le discours antidémocratique des imams extrémistes, qui foisonnent en Mauritanie, dit Mme El Moctar. «On est en train de multiplier les djihadistes.»