En Afrique du Sud, tout le monde connaît - et plusieurs exècrent - le nom de Brandon Huntley. Le jeune homme de 31 ans, originaire du Cap, a scandalisé ses compatriotes après avoir obtenu l'asile au Canada, en septembre, sous prétexte qu'il était persécuté en raison de la couleur de sa peau.

Une peau blanche comme du lait. Dans un pays encore profondément marqué par des décennies d'apartheid, la décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR) a provoqué colère et indignation. Et soulevé une tempête diplomatique entre l'Afrique du Sud et le Canada, qui s'est vu prié de réviser sa décision.

 

C'est d'ailleurs ce que fera un juge de la Cour fédérale, le 13 juillet. Mais l'homme par qui le scandale est arrivé, l'avocat Russell Kaplan, reste convaincu du bien-fondé de la cause de son client. Selon lui, de nombreux autres Sud-Africains pourraient même suivre les traces de Huntley et devenir, bientôt, des réfugiés blancs au Canada!

Plaider la persécution fondée sur la race, «c'était mon idée», admet Me Kaplan, avocat d'origine sud-africaine qui pratique le droit de l'immigration à Ottawa. «J'y pensais depuis plusieurs années. Je me demandais si les choses allaient assez mal en Afrique du Sud pour que des Blancs puissent obtenir l'asile au Canada.»

Politiciens en colère

L'avocat a finalement tenté le coup avec Huntley. Ce dernier a raconté à un juge de la CISR avoir été agressé à sept reprises par des compatriotes noirs, qui l'ont traité de «colon» et de «chien blanc». Il a aussi affirmé avoir de la difficulté à trouver du travail, en raison des mesures de discrimination positive (en faveur des Noirs) que le gouvernement sud-africain a mises en place pour réparer les injustices du passé.

Le juge l'a cru. Les Sud-Africains - et le reste du monde - n'en sont pas revenus.

Autour du globe, 113 000 articles ont été écrits sur cette affaire. «Nous avons reçu des appels d'Allemagne, du Japon et de plusieurs autres pays», dit Me Kaplan. À Pretoria, les politiciens ont réagi avec colère. Éditorialistes et caricaturistes se sont déchaînés. On a fait valoir que la majorité des victimes de la criminalité sévissant au pays étaient noires et pauvres. Et n'obtiendraient jamais, elles, un statut de réfugié au Canada.

La très grande majorité des Blancs et des Noirs cohabitent en harmonie au sein de la nation arc-en-ciel.

Mais dans certaines franges de la société, le malaise existe. «Je peux parfaitement comprendre qu'un Blanc demande le statut de réfugié au Canada», affirme Frances Botha, directrice du centre Jan Hofmeyer, une soupe populaire de Johannesburg que fréquentent des Blancs. «Il y a une épidémie de meurtres dans ce pays.»

Issue de secours

Plus de 3000 fermiers blancs ont été tués depuis 15 ans. Julius Malema, controversé leader de la ligue jeunesse du Congrès national africain (ANC), s'est fait réprimander après avoir scandé en public «Tuez les Boers», une chanson de l'ère anti-apartheid. Un mois plus tôt, le meurtre du suprématiste blanc Eugène Terre'Blanche avait ravivé les tensions.

Craignant que l'Afrique du Sud ne suive le Zimbabwe dans sa descente aux enfers, certains Blancs se cherchent une issue de secours. C'est le cas de Lara Johnstone, qui vient de lancer une campagne sur Facebook pour que les Afrikaners obtiennent un «droit de retour» aux Pays-Bas... 300 ans après que leurs ancêtres eurent quitté l'Europe pour refaire leur vie au cap de Bonne-Espérance, au bout du continent africain.

Jusqu'ici, la page Facebook de Mme Johnstone a attiré près de 600 membres, dont plusieurs ont signé une pétition en faveur de Brandon Huntley.

«On ne veut pas de nous ici», tranche Mme Johnstone. Modeste éleveuse de vers de compostage à George, dans le sud du pays, elle n'a pas les moyens d'émigrer. Elle a donc écrit au gouvernement néerlandais, à la famille royale, ainsi qu'à plusieurs politiciens des Pays-Bas. Elle n'a reçu aucune réponse officielle, et admet se faire peu d'illusions sur les chances des Afrikaners d'obtenir un jour la citoyenneté néerlandaise. «Qu'est-on censés faire? Nous ne sommes ni africains ni européens, alors qui sommes-nous?»

Le président sud-africain Jacob Zuma a répondu à cette question l'an dernier. Contrairement aux descendants des colons anglais, qui ont souvent droit au passeport britannique, les Afrikaners n'ont qu'un seul passeport: celui de l'Afrique du Sud, a-t-il souligné. «C'est la seule tribu blanche sur le continent noir. Ils sont ici pour rester.»