Intimidation d'électeurs, harcèlement de candidats de l'opposition... Dans un climat de peur, le parti au pouvoir en Éthiopie semblait bien parti pour remporter les élections générales de dimanche, un scrutin qui devrait probablement marquer le début d'une seconde décennie aux commandes de l'homme fort depuis 1991 et premier ministre actuel, Meles Zenawi.

Les chefs de l'opposition disent craindre une répétition du scénario de 2005: le scrutin avait alors débouché sur une vague de répression postélectorale, avec l'arrestation d'une centaine de responsables politiques et militants de l'opposition et la mort de 193 personnes dans les manifestations ayant suivi le décompte des voix.

Cinq ans plus tard, le Front révolutionnaire démocratique du peuple éthiopien (EPRDF) réuni autour de Meles Zenawi, l'ancienne rébellion arrivée au pouvoir après avoir renversé le dictateur Mengistu Hailé Mariam, le «Négus rouge», dément toute manipulation ou répression et maintien que tous ont pu s'exprimer librement. Mais en cours de campagne, deux membres de l'opposition ont été tués dans des circonstances mystérieuses.

En 2005, l'opposition, qui avait alors le vent en poupe, avait remporté un nombre de sièges sans précédent. Mais le scrutin a été suivi par une répression policière à la hauteur de ce succès, suscitant la peur dans la population, majoritairement rurale, de ce vaste pays d'Afrique de l'Est.

Depuis, l'opposition dit avoir été muselée, rappelant l'adoption de lois sur la société civile, restreignant le champ d'action des ONG, ainsi que de lois liberticides sur la presse.

«Les gens sont tellement terrifiés qu'ils veulent juste que l'élection se termine afin de retourner à leurs vies misérables», déplore Berhanu Nega, ancien responsable politique en exil aux États-Unis, condamné à mort par contumace en Éthiopie.

Berhanu Nega, élu conseiller municipal en 2005, fut l'un des responsables politiques et journalistes arrêtés dans la répression postélectorale. Initialement inculpé pour trahison et tentative de génocide, il a ensuite été condamné pour incitation à la violence et a passé deux ans et demi en prison. En décembre dernier, il a été condamné à mort par contumace pour appartenance à un groupe terroriste et participation à un complot en vue d'assassiner des responsables gouvernementaux.

Cherchant à convaincre la communauté internationale que le scrutin sera équitable, Addis Abeba joue la carte de la transparence: elle a autorisé la venue d'observateurs de l'Union européenne et de l'Union africaine, aux côtés de 40 000 observateurs locaux.

Jeudi, dernier jour de campagne, les responsables de Medrek, la coalition de l'opposition rassemblant huit partis, ont pourtant affirmé que des responsables du parti-État faisaient pression sur les électeurs, les contraignant à s'engager par écrit à voter pour l'EPRDF, tandis que les membres du Front se voyaient délivrer plusieurs cartes d'électeur par personne...

«S'il y a des tentatives de truquer l'élection, l'opposition et la population resteront vigilantes», a averti Beyene Petros, président de Medrek.

À cela, le porte-parole du gouvernement Shimeless Kemal a répondu en qualifiant les dirigeants de l'opposition de «menteurs pathologiques».

Le Front a fait campagne sur des promesses de croissance économique et de développement agricole dans cette Éthiopie où l'immense majorité des 85 millions d'habitants sont ruraux, s'engageant à lutter contre la pauvreté et pour la démocratie et la bonne gouvernance.

Fréquemment critiquée pour ses violations récurrentes des droits de l'homme, l'Éthiopie n'en reste pas moins un allié des États-Unis dans la lutte contre le terrorisme et Meles Zenawi, l'ex-dirigeant rebelle tigréen, l'incarnation de la stabilité dans une région chaotique.

Addis Abeba et Washington font donc intérêt commun dans la très instable Somalie, que ni l'un ni l'autre ne veulent voir tomber totalement aux mains de l'islam extrémiste, et où l'Éthiopie est intervenue militairement en 2006, avant de se retirer l'année dernière. Addis Abeba est par ailleurs lourdement dépendante de l'aide internationale, dont la majeure partie est d'origine américaine.

Depuis les 19 ans qu'il est au pouvoir, le régime de Meles Zenawi a été confronté à nombre d'épreuves: sécheresses et famines, tensions avec l'Érythrée sur la frontière commune contestée, rébellions ethniques dans cet immense pays-mosaïque... Commandant déjà d'une poigne de fer la «grande puissance» militaire régionale et fin diplomate, Meles Zenawi a récemment rajouté du lustre à sa carrure internationale, représentant de l'Afrique lors du sommet de Copenhague sur le climat.