Dans un rapport accablant sur les droits de l'Homme en RD Congo, un expert de l'ONU presse la communauté internationale d'agir pour éviter «une nouvelle effusion de sang» dans certaines régions du pays où tueries et violences continuent et où l'impunité est «chronique».

Après onze jours d'enquête en République démocratique du Congo (RDC), Philip Alston, rapporteur spécial de l'ONU sur les exécutions extrajudiciaires, révèle l'existence d'un «massacre» commis le 26 avril par une unité de l'armée de Kinshasa, dirigée par un colonel, dans un camp de réfugiés hutu rwandais à Shalio (Nord-Kivu, est).

«Au moins 50 réfugiés ont été tués» et une quarantaine de femmes «enlevées», selon le rapport rendu public jeudi à Kinshasa. Dix femmes qui ont pu s'échapper - le sort des autres est inconnu - ont subi «des viols collectifs» et ont eu «des morceaux de sein coupés».

Le 10 mai, en «représailles», «au moins 96 civils ont été massacrés» par les rebelles hutu des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) à Busurungi (près de Shalio), selon M. Alston.

Ces tueries se sont déroulées en pleine opération «Kimia II» menée depuis mars au Nord et Sud-Kivu par les Forces armées de RDC (FARDC), appuyées par les Casques bleus de l'ONU (Monuc), contre les FDLR estimés entre 4.000 et 6.000 combattants.

Certains rebelles hutu ont participé au génocide de 1994 contre la minorité tutsi au Rwanda avant de s'installer dans l'est de la RDC.

Si le patron de la Monuc, Alan Doss, se félicitait fin août du «bilan largement positif» de Kimia II, pour le rapporteur spécial l'opération est «un désastre en matière des droits de l'Homme».

Déplacés par centaines de milliers, violences sexuelles «à grande échelle», au moins mille civils tués, villages brûlés par les rebelles ou l'armée régulière: FARDC et Monuc «doivent changer leur stratégie», plaide le rapporteur.

«Le mandat du Conseil de sécurité a transformé la Monuc en une partie au conflit. Cela crée inévitablement un conflit d'intérêt quant à la capacité et la volonté de la Monuc d'enquêter sur les allégations de violations commises par les FARDC», note-t-il.

«L'impunité est chronique. Pour les FARDC tout est permis», affirme M. Alston. C'est «la cause principale de la continuation des tueries et le résultat des lacunes graves du système judiciaire à tous ses niveaux», selon lui.

L'enquêteur s'inquiète aussi de la situation en Province Orientale (nord-est), «véritable poudrière» où la rébellion ougandaise de l'Armée de résistance du Seigneur (LRA) - estimée à quelques centaines de combattants -, «sévit toujours», avec 22 meurtres et 37 enlèvements relevés en septembre, alors que Kinshasa «s'apprête à crier victoire».

Selon lui, la LRA, l'une des guérillas les plus brutales au monde, «est devenue une menace régionale» opérant aussi en Ouganda, Centrafrique et au Sud-Soudan: «Elle sème la panique et continuera de le faire à moins qu'une solution régionale ne soit trouvée.»

Dans le Bas-Congo (ouest), l'auteur du rapport dit enfin avoir fait lui-même «l'expérience de la nature hautement répressive de l'appareil de l'État» après avoir été interdit par la police et les autorités locales de rencontrer des témoins et victimes de violences de la part des forces de sécurité.

«Tous les témoins sont au rouge en RDC», prévient M. Alston, en appelant le gouvernement du pays et la communauté internationale à «prendre des mesures immédiates de prévention pour empêcher une nouvelle effusion de sang prévisible à l'ouest, en Province Orientale et dans les Kivus».