Au moins 87 personnes hostiles à la junte au pouvoir en Guinée ont été tuées par balles lundi à Conakry, selon une source policière, et deux chefs de l'opposition blessés par des militaires, au cours d'une manifestation réprimée dans le sang par les forces de sécurité.

C'est la première fois que la junte écrase une manifestation dans la violence depuis qu'elle a pris le pouvoir il y a neuf mois. La journée de lundi a été la plus meurtrière de ces dernières années en Guinée.

La Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme (FIDH) a appelé la communauté internationale à «réagir fermement». Ancienne puissance coloniale, la France a condamné «avec la plus grande fermeté» cette «répression violente» et les Etats-Unis se sont déclarés «profondément inquiets».

Lundi à la mi-journée, plusieurs dizaines de milliers de manifestants s'étaient rassemblés dans le plus grand stade de Conakry pour dire leur opposition à l'éventuelle candidature du chef de la junte, le capitaine Moussa Dadis Camara, à la présidentielle prévue en janvier.

Après l'intervention des forces de sécurité, venues évacuer le stade, «il y a 87 corps qui ont été ramassés dans et autour du stade après le passage des militaires», a indiqué un responsable de la police sous couvert de l'anonymat.

«En ce moment, il y a 47 corps au camp (militaire) Samory Touré (à Conakry), dont quatre femmes, qui seront enterrés cette nuit (de lundi à mardi)», a précisé cette source.

Un peu plus tôt dans la journée, un médecin du Centre hospitalier universitaire de Donka, avait lancé: «C'est la boucherie! Un carnage».

Une autre source médicale, à l'hôpital Ignace Deen de Conakry, a assuré à l'AFP qu'un camion militaire était venu pour ramasser des «dizaines de corps», emmenés vers «une destination inconnue». Un membre de la Croix-Rouge a également évoqué «une volonté de dissimuler les corps des victimes».

Dans la matinée, les forces de sécurité avaient d'abord dispersé des opposants à coups de matraques et de grenades lacrymogènes et arrêté des dizaines de personnes.

Puis le stade - qui compte officiellement 25 000 places - s'était empli d'une foule débordant jusque sur les pelouses et aux abords, et des tirs avaient été entendus.

L'ex-Premier ministre Cellou Dalein Diallo, candidat à l'élection présidentielle et dirigeant de l'Union des forces démocratiques de Guinée (UDFG, opposition), a raconté à l'AFP que des militaires lui avaient «cassé deux côtes» et l'avaient blessé à la tête «à coups de crosse».

«Il y avait une volonté délibérée de nous éliminer aujourd'hui, nous, les opposants», a déclaré l'ancien chef de gouvernement Sidya Touré, leader de l'Union des forces républicaines (UFR, opposition), également blessé à la tête.

Ces deux opposants ont été conduits au camp militaire Alpha Yaya Diallo, siège de la junte, puis transportés dans une clinique pour y être soignés. Leurs maisons ont ensuite été pillées par des militaires, selon des témoins.

Jusqu'à présent, le capitaine Dadis Camara soulignait volontiers que l'armée avait pris le pouvoir «sans effusion de sang», le 23 décembre 2008, au lendemain du décès du président Lansana Conté qui régnait sans partage sur la Guinée depuis 1984.

Dans un entretien diffusé lundi soir par Radio France Internationale (RFI), le chef de la junte a déclaré attendre «qu'on (lui) donne les chiffres (des morts)».

«C'est malheureux, c'est dramatique. Effectivement, il y a eu des morts, mais je n'ai pas encore les chiffres. Je suis là et j'attends qu'on me fasse le point de la situation. Très franchement parlant, je suis très désolé, très désolé», a-t-il ajouté.

Ces violences interviennent au moment où la communauté internationale fait pression sur le chef des putschistes pour qu'il respecte son engagement de ne pas se présenter à la présidentielle.