Les États-Unis accusent Moscou d’avoir transféré jusqu’à 1,6 million d’Ukrainiens vers la Russie

Opération délibérée

Le déplacement forcé d’Ukrainiens vers la Russie continue de préoccuper. Mercredi, Antony Blinken, secrétaire d’État des États-Unis, a accusé Moscou d’avoir déplacé de force jusqu’à 1,6 million d’Ukrainiens vers la Russie depuis le début de l’invasion russe à grande échelle, le 24 février, dénonçant une opération délibérée pour dépeupler une partie de l’Ukraine. « Ce transfert et ce déplacement illégal de personnes sont une violation grave de la 4Convention de Genève sur la protection des civils et c’est un crime de guerre », a-t-il déclaré dans un communiqué à la veille d’une conférence à La Haye sur les allégations de crimes de guerre en Ukraine. Parmi eux figurent 260 000 enfants, dont certains ont été séparés de leurs parents et placés dans des orphelinats pour être adoptés, a-t-il ajouté. « C’est pourquoi nous soutenons les efforts des autorités ukrainiennes et internationales pour réunir, documenter et préserver les preuves des atrocités », a-t-il dit.

Transfert forcé

Michel Fortmann, professeur honoraire au département de science politique de l’Université de Montréal et chercheur au Centre d’études et de recherches internationales (CERIUM), souligne que la stratégie de déplacer des populations entières fait partie de l’arsenal russe depuis longtemps. « Les Russes sont des experts en transfert forcé de populations, dit-il. De 1930 aux années 1950, plus de 6 millions de personnes ont été forcées de quitter leur lieu d’origine pour être envoyées en Sibérie ou ailleurs dans l’Empire russe. » Selon Washington, des opérations similaires ont eu lieu plus récemment dans d’autres conflits, notamment en Tchétchénie.

Rejoindre la famille

Yakov M. Rabkin, professeur émérite au département d’histoire de l’Université de Montréal, qui séjourne actuellement à Saint-Pétersbourg, en Russie, pour des raisons familiales, note que beaucoup d’Ukrainiens vont aussi en Russie pour y rejoindre de la famille ou y trouver du travail. « Il y a des liens, il ne faut pas oublier que c’était un seul pays avant. À Saint-Pétersbourg, il y a 5000 Ukrainiens qui sont arrivés, ils viennent ici, car il y a beaucoup plus de travail que dans les villes de taille moyenne en Russie. » M. Rabkin a été surpris de ne rien voir dans les rues de Saint-Pétersbourg qui rappelle qu’une opération militaire est en cours. « Si on ne suit pas les nouvelles, on ne peut rien voir de différent, à part parfois une affiche Z. J’en ai vu une dizaine dans le métro. Je m’attendais à voir plus de slogans. Les cafés sont pleins, les gens sont dehors le soir… L’invasion touche les gens dont un membre de la famille est dans l’armée, mais pas les autres. »

« Pas surprenant, mais choquant »

France-Isabelle Langlois, directrice générale d’Amnistie internationale Canada francophone, note qu’Amnistie a des équipes sur place en Ukraine pour documenter les déportations menées par la Russie, et qu’un tableau plus précis de la situation sera bientôt disponible. « Or, on a vu depuis le début de l’invasion et lors d’autres invasions que la Russie ne se préoccupe pas du droit international et de ses obligations internationales, dit-elle. Ce qu’elle fait n’est pas surprenant, mais ce n’en est pas moins choquant, et on doit s’insurger contre cette exploitation des êtres humains exempte de toute empathie. » Les personnes déplacées de force en Russie ne sont pas des combattants, mais bien des civils, note-t-elle. « Ça évoque toutes sortes d’images pour nous dans tous les conflits du XXsiècle en Europe. De dire qu’en 2022, on est encore là, que de tels agissements de l’ordre de la barbarie existent encore, et aussi facilement, c’est vraiment outrageant. »

Passeports russes pour tous les Ukrainiens

Parallèlement, la Russie a annoncé qu’elle facilitait l’accès à la nationalité russe pour tous les Ukrainiens. Les « citoyens de l’Ukraine […] disposent du droit de demander la citoyenneté de la Fédération de Russie selon la procédure simplifiée », est-il indiqué dans un décret du président Vladimir Poutine publié lundi. Auparavant, cette politique ne s’appliquait qu’aux territoires ukrainiens occupés par la Russie. La Russie est accusée de distribuer les passeports russes chez ses voisins pour y asseoir son influence, comme elle l’avait précédemment fait dans les régions séparatistes d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie, en Géorgie, et celle de Transnistrie, en Moldavie.

Avec l’Agence France-Presse

En savoir plus
  • 9 millions
    Nombre d’Ukrainiens qui ont traversé une des frontières du pays depuis l’invasion lancée par Moscou le 24 février dernier
    Source : Organisation des Nations unies