(Ottawa) Le Canada travaille de concert avec d’autres pays de l’OTAN pour convaincre la Turquie de ne pas opposer de veto à l’adhésion de la Suède et de la Finlande, a fait savoir jeudi le premier ministre Justin Trudeau. L’ambassadeur d’Helsinki à Ottawa, lui, se dit encore « un peu perplexe » par rapport à la résistance d’Ankara.

Les États nordiques qui ont renoncé à leur non-alignement et à leur neutralité de longue date sont pourtant taillés sur mesure pour rejoindre l’Alliance, juge-t-on tant au Canada qu’aux États-Unis, où le président Joe Biden recevait jeudi la première ministre de la Suède, Magdalena Andersson, et le président de la Finlande, Sauli Niinistö.

Mais la volonté canadienne, étatsunienne et européenne de ratifier promptement leurs candidatures se heurte à l’hostilité de la Turquie, où le président Recep Tayyip Erdoğan fait obstacle au processus, sous prétexte que la Suède et la Finlande seraient des pépinières de terroristes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Jeudi, il a persisté et signé.

« Il faudra clarifier quels sont leurs griefs. La Finlande fait partie de l’Union européenne, nous suivons les sanctions et les règles de l’UE, et au sein de l’UE, le PKK est sur la liste des organisations terroristes, et c’est notre avis. Alors nous sommes un peu perplexes », affirme en entrevue Roy Eriksson, ambassadeur de Finlande à Ottawa.

« Nous travaillons là-dessus en tant que communauté », a assuré Justin Trudeau avant la rencontre du Cabinet, jeudi. La veille, au siège des Nations unies, à New York, la ministre des Affaires étrangères du Canada, Mélanie Joly, avait eu une conversation « importante » sur l’OTAN avec son homologue turc, Mevlüt Çavuşoğlu, selon ce qu’elle a affirmé sur Twitter.

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Mélanie Joly, ministre des Affaires étrangères

En début de semaine, la cheffe de la diplomatie signalait qu’Ottawa pourrait dire oui aux demandes d’adhésion de la Finlande et de la Suède « au cours des prochains jours ». L’opposition turque vient cependant contrarier le projet d’adhésion rapide des deux États, regrette Roy Eriksson. « Au départ, on pensait que le processus pourrait durer environ un an, mais là, il a été interrompu », indique-t-il.

« Opportunité de marchandage »

Mais pourquoi la Turquie joue-t-elle les trouble-fêtes ? « Parce qu’elle voit une opportunité de marchandage, pour obtenir des gains. Ce qu’elle souhaite en échange n’a pas de lien avec les adhésions en tant que telles », note Justin Massie, professeur de science politique à l’Université du Québec à Montréal.

La Turquie aimerait notamment que la Suède et les États-Unis réduisent – ou interrompent – leur soutien et leur approvisionnement en armes aux Kurdes, sur son territoire ainsi que du côté de la Syrie, expose-t-il. Et ce chantage turc portera ses fruits, projette d’ores et déjà le politologue.

Car la Turquie « était déjà isolée au sein de l’OTAN depuis la guerre en Syrie », sa position n’est donc pas « pire » qu’elle ne l’était, et lui offre cette fois un « potentiel de gain qu’elle va, à mon sens, obtenir » – d’autant que l’Alliance atlantique a besoin de la Turquie, entre autres pour sa « situation géographique », expose Justin Massie.

L’OTAN sera là en cas de menace

Entre-temps, Justin Trudeau a promis aux dirigeants des nations arctiques que le Canada « offrirait son soutien » en cas de « menaces à leur sécurité », et ce, entre le moment de leur demande à l’OTAN et leur adhésion officielle. Il a pris cet engagement mercredi auprès de la première ministre de Finlande, Sanna Marin, et jeudi auprès de son homologue suédoise, Magdalena Andersson.

Avant lui, on avait fait la même promesse à Bruxelles, puis à Washington.

L’ambassadeur de Finlande ne voit pas le Kremlin se lancer dans les provocations. « C’est vraiment une planification pour le pire des scénarios, avance M. Eriksson. Je crois fermement que Moscou a accepté le fait que la Finlande et la Suède vont se joindre à l’OTAN – et il est dans son intérêt d’avoir de bonnes relations avec nous si nous devenons membres. »

L’élargissement de l’Alliance permettra une plus grande stabilité dans cette région de l’Europe, croit le chef de mission d’Helsinki : « La menace d’une guerre serait moins grande ; nous serions sous les auspices de l’article 5 [protection mutuelle]. La Russie y penserait à deux fois avant de déclencher un conflit. »

Malgré l’opposition de la Turquie, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a dit avoir bon espoir que la Suède et la Finlande y adhéreront et qu’une « décision rapide » sera prise. « La seule façon de répondre aux préoccupations » d’un « allié important » comme la Turquie est de « trouver un terrain d’entente », a-t-il plaidé à Copenhague.

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    L’arrivée de la Suède et de la Finlande au sein de l’OTAN ferait passer de 30 à 32 le nombre de pays membres.