Les violences sexuelles perpétrées par des soldats russes en Ukraine ciblent aussi des hommes et des garçons, affirme l’ONU, selon qui les cas connus ne sont que la « pointe de l’iceberg ».

« Créer un espace sûr »

« J’ai reçu des rapports pas encore vérifiés sur des cas de violence sexuelle contre des hommes et des garçons en Ukraine », a déclaré Pramila Patten, représentante spéciale des Nations unies sur les violences sexuelles en temps de guerre, lors d’un point de presse à Kyiv la semaine dernière. S’il est difficile pour les femmes et les filles de signaler le viol en raison de la stigmatisation, il est souvent encore plus difficile pour les hommes et les garçons de le faire, a-t-elle ajouté. « Nous devons créer cet espace sûr pour que toutes les victimes puissent signaler les cas de violence sexuelle. Les rapports que nous avons constituent la pointe de l’iceberg. » Iryna Venediktova, procureure générale d’Ukraine, a dit la semaine dernière avoir récolté des centaines de témoignages concernant des viols de femmes, d’hommes et d’enfants. Elle a qualifié Vladimir Poutine de « principal criminel de guerre du XXIe siècle » et a accusé la Russie d’avoir utilisé le viol de citoyens ukrainiens comme « tactique » dans son invasion brutale.

Un « tabou encore plus grand »

Ces annonces concernant des violences sexuelles envers des hommes et des garçons ne sont « pas du tout » surprenantes, signale Aurélie Campana, professeure au département de science politique de l’Université Laval. « Si on regarde en Tchétchénie entre 1994 et 1996, puis entre 1999 et 2009, les violences sexuelles de l’armée russe envers des hommes ont été bien documentées, et ce, malgré le fait qu’il y a un tabou encore plus grand que pour des violences sexuelles envers des femmes. Il y a des témoignages très clairs qui ont été récoltés. »

« L’ordre vient d’en haut »

Selon Mme Campana, ces violences sexuelles suivent trois modes opératoires. « Premièrement, il y a des soldats qui s’en prennent à de très jeunes hommes parce qu’il n’y a pas de hiérarchie, pas de discipline. Deuxièmement, il y a les cas où l’ordre vient d’en haut, parce qu’il faut démoraliser les populations. Comme les Ukrainiens sont déshumanisés par les Russes qui les traitent de “nazis” et de “traîtres”, tout est permis à partir de là. Et le troisième mode opératoire pour les violences sexuelles contre les hommes, c’est dans les moments d’arrestation, de détention. La violence sexuelle est très utilisée par les soldats russes comme une forme de torture. C’est une façon d’humilier la personne qu’on vient d’arrêter. »

Violence documentée

De manière générale, la société russe est une société violente : à titre d’exemple, plus de 12 000 femmes sont mortes en Russie à la suite de violences domestiques au cours de la période 2011-2019, selon une étude publiée par le Consortium russe des organisations non gouvernementales de femmes. En Russie, une femme sur cinq (20 %) aurait été victime de violence conjugale, soit cinq fois plus qu’au Canada, où 4 % des femmes l’ont été, selon Statistique Canada. Il y a aussi énormément de violence au sein même de l’armée russe, note Aurélie Campana. « On trouve très facilement, malheureusement, des témoignages sur l’utilisation de la violence sexuelle contre de jeunes engagés volontaires ou des conscrits de première année dans l’armée russe. Donc quand des officiers déploient de la violence sexuelle contre leurs propres soldats, qu’est-ce que font les soldats après quand ils sont envoyés dans des populations civiles qu’ils doivent soumettre et contrôler ? Ils vont utiliser les mêmes outils, et la violence sexuelle en fait partie. »

2 millions de viols après la Seconde Guerre mondiale

Ce n’est pas la première fois que l’armée russe se rend coupable d’exactions vis-à-vis de la population : c’est arrivé de façon massive au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. « S’il est impossible d’avancer des chiffres exacts, on peut estimer à près de 2 millions le nombre de femmes ayant été violées par les soldats soviétiques dans le cadre de la campagne de libération puis de l’occupation de l’est de l’Allemagne », écrit l’historienne Fanny Le Bonhomme dans son article intitulé Viols en temps de guerre, psychiatrie et temporalités enchevêtrées. « Multiples et complexes, les causes incluent un désir et une haine des Allemands qui trouve son origine dans les couches profondes de la conscience collective soviétique et qui se voit avivée par la machine de propagande. […] C’est bien toute la nation allemande qui doit être humiliée par ces viols massifs, qui expriment la radicalité de la violence guerrière. »

En savoir plus
  • 700
    Nombre de rapports concernant des viols remplis depuis le 1er avril, dont au moins un cas où un jeune garçon aurait été violé
    Source : Lyudmila Denisova, médiatrice des droits de la personne du Parlement ukrainien