En refusant d’engager les forces armées dans le conflit, le président use de la même stratégie que celui qui occupait son poste lorsque la Seconde Guerre mondiale a éclaté.

(New York) « À mon avis, c’est l’équivalent du 1er septembre 1939, le début de la Seconde Guerre mondiale », a déclaré jeudi matin à la télévision américaine Michael McFaul, ancien ambassadeur des États-Unis en Russie sous Barack Obama.

Reste à voir si Joe Biden devra se résoudre à suivre les traces de Franklin Delano Roosevelt. Deux jours après l’invasion de la Pologne par l’Allemagne nazie, le 32e président avait renouvelé son engagement de ne pas envoyer de soldats américains dans la mêlée européenne. Sa promesse ne devait durer qu’un temps.

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Le président Franklin Delano Roosevelt, le 4 avril 1939

Quelques heures après le début de l’attaque russe contre l’Ukraine, Joe Biden a répété une promesse semblable : « Laissez-moi le dire encore une fois : nos forces ne sont pas – et ne seront pas – engagées dans le conflit avec la Russie en Ukraine. »

Mais en annonçant le déploiement de 7000 soldats supplémentaires en Allemagne, il a voulu envoyer un message à la Russie et aux pays de l’OTAN qui avoisinent l’Ukraine, la Biélorussie ou la Russie.

« Comme je l’ai dit très clairement, les États-Unis défendront chaque pouce du territoire de l’OTAN avec toute la puissance américaine », a-t-il déclaré.

À l’entendre, cette promesse pourrait avoir de lourdes conséquences, étant donné les intentions qu’il prête à Vladimir Poutine.

Il a des ambitions bien plus grandes que l’Ukraine. Il veut rétablir l’ancienne Union soviétique. C’est de cela qu’il s’agit.

Le président Joe Biden, à propos de Vladimir Poutine

S’il dit vrai, le 24 février 2022 finira peut-être par marquer le début de la troisième guerre mondiale.

Un « paria » international

En attendant, Joe Biden continue de miser sur des sanctions économiques « sévères » comme riposte à l’invasion russe de l’Ukraine. Lors de son intervention de jeudi à la Maison-Blanche, il en a annoncé de nouvelles, qui cibleront les banques, les élites et les exportations russes.

« Poutine est l’agresseur. Poutine a choisi cette guerre. Et maintenant, lui et son pays vont en subir les conséquences », a-t-il dit après avoir dénoncé une attaque « préméditée » qui causera une souffrance humaine généralisée.

« L’agression de Poutine contre l’Ukraine finira par coûter cher à la Russie – économiquement et stratégiquement. Nous ferons en sorte que Poutine soit un paria sur la scène internationale », a-t-il ajouté.

Les nouvelles sanctions priveront les grandes banques et entreprises russes de leur accès aux marchés financiers occidentaux et limiteront les exportations de technologies vers la Russie. Elles gèleront en outre des milliers de milliards de dollars d’actifs russes, y compris les fonds contrôlés par les membres de l’élite russe et leurs familles.

VTB, l’une des quatre banques visées par les nouvelles sanctions, est la deuxième en importance en Russie. Elle possède 250 milliards de dollars d’actif.

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Le président Joe Biden

Nous allons limiter la capacité de la Russie à faire des affaires en dollars, en euros, en livres et en yens. Nous allons l’empêcher de faire partie d’une économie mondiale.

Le président Joe Biden

Dans un tweet publié après son intervention, le 46e président s’est félicité de « l’impact [des] actions sur la devise russe – le rouble – qui a atteint en début de journée son nouveau le plus faible jamais enregistré ».

« La Bourse russe a plongé aujourd’hui. Et le taux d’emprunt du gouvernement russe a dépassé les 15 % », a-t-il ajouté.

« Un long jeu de patience »

Mais Joe Biden n’a pas épuisé l’arsenal des sanctions à sa disposition. Il n’a pas visé personnellement Vladimir Poutine, une option qui reste « sur la table », a-t-il précisé.

Il n’a pas non plus choisi de couper la Russie du réseau interbancaire Swift, rouage essentiel de la finance internationale, ou de sanctionner la banque centrale russe, comme le réclament des parlementaires démocrates et républicains.

« Nous aurions dû imposer des sanctions plus tôt – des sanctions strictes, paralysantes », a déclaré sur Fox News la représentante républicaine de l’État de New York Claudia Tenney, déplorant à son tour la « faiblesse diplomatique » de Joe Biden.

Certains experts estiment que ce genre de raisonnement trahit une incompréhension de ce que peuvent accomplir les sanctions.

« Si Vladimir Poutine est déterminé à annexer une partie de l’Ukraine ou l’Ukraine au complet, il n’y a rien à faire pour l’en empêcher sauf utiliser la force militaire », a déclaré Garret Martin, spécialiste des relations transatlantiques et de l’OTAN à l’American University. « Les sanctions font partie d’un long jeu de patience, où vous tentez notamment d’augmenter le coût d’une action donnée. »

Ce bras de fer pourrait également être coûteux pour les Américains, surtout à la pompe. Joe Biden l’a reconnu jeudi en promettant de puiser dans les réserves stratégiques de pétrole des États-Unis afin de freiner la hausse des prix de l’essence. Mais le jeu en vaut la chandelle, selon lui.

« L’Amérique tient tête aux brutes », a-t-il déclaré en faisant appel à la conscience de ses compatriotes.

Après l’invasion de la Pologne, Franklin Roosevelt avait également tenté de faire vibrer la fibre morale des Américains face aux agressions de l’Allemagne nazie lors de l’une de ses causeries radiophoniques au coin du feu : « Cette nation restera une nation neutre, mais je ne peux pas demander à chaque Américain de rester en même temps neutre en pensée. »

On connaît la suite.