L'identification des nombreuses victimes des ouragans en Haïti est un travail macabre mais crucial auquel s'est attelé depuis trois jours un médecin légiste français, qui se heurte à l'absence de morgues et aux phobies des habitants.

Affamés, désespérés, souvent sans toit après les ouragans meurtriers Hanna et Ike qui se sont abattus sur ce pays parmi les plus pauvres du monde, les habitants d'Haïti cherchent avant tout à survivre.

La reconnaissance des corps peut attendre. Et on cherche le plus souvent à les enterrer aussi vite que possible. Pour éviter «les maladies».

Le gros problème en Haïti est la peur provoquée par les cadavres en décomposition, dont personne ne veut s'occuper par crainte des épidémies, explique Stéphane Malbranque, médecin légiste venu de l'île française de la Martinique à la demande de l'Organisation mondiale de la santé (OMS).

Pourtant, si les corps en décomposition dégagent des bactéries, qui peuvent provoquer des typhoïdes ou infecter des plaies, il n'y a pas de gros risques d'épidémies, assure un autre médecin, le Dr Henriette Chamouillet, de l'OMS.

Aux Gonaïves, la ville la plus meurtrie par le passage des ouragans Hanna et Ike, qui y ont fait au moins 111 morts, le Dr Malbranque doit mener une mission de formation et surveiller l'état du cimetière à demi inondé où sont enterrées tant bien que mal des victimes.

«Il faut qu'un mètre cinquante de terre recouvre les corps, si on en met moins épais, ils peuvent remonter à la surface en cas de fortes pluies», explique le médecin.

«Comme il n'y a pas de morgue publique, ce sont souvent les morgues privées qui s'emparent des corps, et qui demandent à l'État de payer les frais de conservation, et parfois de mise en terre», ajoute-t-il.

La tâche du médecin est difficile. «Le plus souvent, dans les inondations, on retrouve des corps nus, dans la boue, déshabillés par les flots, sans possibilité de reconnaître un vêtement» pour les identifier, détaille-t-il.

«On rince les corps, on les enveloppe dans un sac, avec la tête qui dépasse, et on note les caractéristiques physiques» de la personne pour répondre à une éventuelle demande de la famille.

À Cabaret, dans l'ouest du pays, personne ne voulait s'occuper du cadavre en état de décomposition d'une fillette, prisonnière d'une gangue de boue. Le Dr Malbranque ne pouvait la dégager seul et s'est fait aider par l'inspecteur de la mairie, plutôt réticent au début.

«Je lui ai expliqué qu'avec des gants et des blouses, on ne risque rien», raconte le Dr Malbranque. «Il est maintenant formé pour intervenir sur d'autres cas», espère-t-il.

S'ils ont peur des cadavres, reconnaît le médecin, «les gens d'ici disent aussi +c'est une catastrophe naturelle, qui a provoqué une mort naturelle+. C'est une manière d'exprimer leur fatalisme... Ils ne sont pas en colère, ils ont un rapport différent du nôtre avec la mort».