Le rejet de l'interdiction du parti AKP au pouvoir à Ankara enlève une épine du pied des Européens qui craignaient une crise profonde avec un partenaire stratégique, mais n'augure pas d'une avancée plus aisée du processus d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne.

La décision de la Cour constitutionnelle turque de mercredi «constitue un soulagement», a déclaré le secrétaire d'Etat français aux Affaires européennes Jean-Pierre Jouyet, dont le pays préside l'Union européenne (UE).

Il a ainsi résumé le sentiment de l'UE. Les Européens redoutaient un scénario catastrophe qui aurait pu aller jusqu'à l'arrêt des négociations d'adhésion de la Turquie au bloc, commencées en 2005.

Mais même si «bien sûr, c'est une bonne nouvelle, cela ne va pas accélérer proprement dit le processus d'adhésion», a estimé Katinka Barysch, analyste au Centre for European Reforms de Londres.

«Par contre, cela va libérer les responsables de l'AKP qui vont pouvoir se concentrer sur les choses que l'UE réclame depuis plusieurs années et pour lesquelles l'AKP était trop occupé: réformes économiques, réforme du système judiciaire, liberté religieuse, etc...», a-t-elle ajouté.

D'ailleurs, les responsables européens ont immédiatement appelé mercredi le gouvernement turc à relancer les réformes, au point mort depuis plus d'un an en raison d'une succession de crises politiques liées à l'opposition entre les défenseurs acharnés de la laïcité, dont l'armée, et les islamistes conservateurs au pouvoir.

«J'encourage à présent la Turquie à reprendre avec toute son énergie les réformes pour moderniser le pays», a dit le commissaire européen à l'Elargissement Olli Rehn. L'interdiction de l'AKP aurait certainement entraîné des législatives anticipées, qui auraient encore repoussé les réformes demandées.

D'une manière générale, les Européens attendent de voir et ne devraient que poursuivre comme prévu la lente avancée des négociations d'adhésion.

L'UE «attentive au fonctionnement démocratique des institutions, continuera à suivre avec attention la situation en Turquie», a ainsi résumé la présidence française.

«L'UE et les Etats membres devraient envoyer maintenant un signal positif» à la Turquie, a contesté l'eurodéputé allemand Cem Özdemir, dans un communiqué.

«L'UE a été beaucoup critiquée pour sa réticence (envers la Turquie) et pour le ralentissement des négociations, accusée d'avoir en un sens contribué à la crise» en donnant du grain à moudre aux opposants du Premier ministre favorable à l'adhésion, a de son côté noté Kirstie Hughes, consultante sur la Turquie.

«Les Etats membres qui soutiennent l'adhésion de la Turquie devraient donc pousser pour dire (...) nous devons soit accélérer ce processus, ou alors nous aurons l'air stupides», l'Europe donnant l'impression «de ne pas être sérieuse» dans ses promesses à Ankara, a-t-elle ajouté.

Mais cette accélération n'est pas l'option envisagée par les 27.

La France, dont le président Nicolas Sarkozy est notoirement opposé à l'adhésion turque, souhaite ainsi ouvrir «deux, voire trois chapitres d'ici à la fin de l'année», a répété mercredi M. Jouyet.

À ce jour, seuls 8 des 35 chapitres thématiques qui jalonnent les négociations d'adhésion ont été ouverts --et un fermé-- à raison d'un ou deux par présidence.

À ce rythme, que Kirstie Hughes qualifie de «ridiculement et absurdement lent», il faudrait environ dix ans pour ouvrir tous les chapitres. Mais en plus, 18 chapitres sont de facto gelés, dont huit en raison de la non reconnaissance de Chypre par Ankara, et cinq par la France qui les considère comme «directement liés» à une adhésion.