Le Festival des films du monde (FFM) est comme un restaurant réputé des années 70. Une bonne table d’une autre époque qui sert depuis 40 ans des spécialités du terroir : bœuf bourguignon, fondue savoyarde, bouillabaisse méditerranéenne. Un établissement démodé qui n’a jamais modernisé son décor ni son menu. Malgré l’évolution des goûts, les progrès de la gastronomie et le raffinement des techniques culinaires.

Du jour au lendemain, ce restaurant qui a perdu son lustre d’antan, où l’on ne trouve plus depuis longtemps qu’une poignée de fidèles de la première heure, tapisse ses fenêtres de papier journal. Sur un panneau à l’entrée, on a indiqué que le commerce fermait ses portes pour quelques mois, le temps de se refaire une beauté, « afin de mieux vous servir ».

Personne n’est dupe de ce que cela signifie. La fermeture est souvent définitive. Mais il y a des exceptions…

Je l’ai déjà écrit : il y a un entêtement qui force l’admiration dans l’inépuisable capacité de Serge Losique à tenir à bout de bras, contre vents et marées, le Festival des films du monde. L’évènement a été placé sous respirateur artificiel il y a déjà un moment. La grande majorité des cinéphiles le considère comme cliniquement mort depuis des années. Or, Serge Losique, malgré la désaffection d’un public autrefois gagné à sa cause, malgré l’abandon, de guerre lasse, des organismes subventionnaires et de l’ensemble de l’industrie cinématographique, a toujours tenu le cap, (quasi) imperméable à la critique, insensible à l’étau qui se resserre autour de lui depuis presque deux décennies.

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

« Il y a un entêtement qui force l’admiration dans l’inépuisable capacité de Serge Losique à tenir à bout de bras, contre vents et marées, le Festival des films du monde », écrit Marc Cassivi.

On l’a déclaré kaput, fini, lessivé, au bout du rouleau, je ne sais plus combien de fois dans le passé, mais Serge Losique a toujours eu un atout dans sa manche, une dernière carte à jouer. Même fausse, même imaginaire. Assez pour que bon an, mal an, il réussisse l’invraisemblable : organiser une fois de plus son festival de films.

Son dernier coup de théâtre laisse toutefois planer le doute, plus que jamais, sur l’avenir de l’évènement, qu’il a fondé en 1977.

À un mois de ce qui devait être le 43e FFM, M. Losique a annoncé hier, par voie de communiqué, que le festival faisait relâche. Son président s’accorde lui-même une pause, afin de se ressourcer. Il souffre de « fatigue extrême » et ses médecins lui conseillent de ne pas interagir avec les médias.

Aucun film n’avait encore été sélectionné pour ce 43e Festival des films du monde, semble-t-il. Ce qui est plus qu’étonnant lorsque l’on connaît le fonctionnement des festivals, qui préparent leur programmation en amont, des mois à l’avance. Le FFM, il faut dire, n’a jamais fonctionné comme les autres. Encore moins depuis quelques années, alors que l’improvisation de dernière minute (choix de films, sélection des jurés, annonce des invités) est devenue non plus l’exception, mais la norme.

Serge Losique prétend que cet hiatus survient « afin de mieux préparer l’édition 2020 ». Afin de mieux vous servir, dirait un restaurateur… On n’aurait pas tort d’y voir une boutade de plus, un nouvel effet de toge de ce vieux renard (qui aura bientôt 88 ans) pour s’acheter du temps et repousser l’inévitable conclusion de cet interminable roman-savon. On serait tenté dans la foulée de déclarer le FFM mort et enterré. Ce serait bien imprudent, après toutes ces années.

J’observe, de près ou de loin, les péripéties du FFM depuis longtemps. D’abord comme jeune cinéphile qui faisait la queue pour voir des films attendus devant Le Parisien, au début des années 90, alors que c’était un évènement couru, quoique déjà en perte de vitesse. Ensuite comme critique, qui a pu y interviewer au tournant du millénaire des artistes de renom tels Liv Ullmann, Olivier Assayas ou Bruno Ganz.

J’ai vu cet évènement, qui rivalisait avantageusement avec le Festival de Toronto à ses débuts, se marginaliser, perdant peu à peu sa pertinence. Car si l’entêtement de Serge Losique force l’admiration, c’est aussi son aveuglement obstiné, son refus de voir la vérité en face et d’assurer une relève, qui a entraîné, non seulement la perte du FFM, mais la place enviable qu’avait jadis Montréal sur l’échiquier mondial des festivals de cinéma. Cette perte-là, à mon avis, est désormais irrémédiable.

L’annonce d’hier n’est pas le début de la fin pour le FFM, comme certains l’ont laissé entendre. Le début de la fin date d’il y a au moins 20 ans.

Depuis, Serge Losique patauge dans les méandres administratifs, juridiques et financiers, en raison de la gestion opaque de son festival, fragilisé puis lâché par les organismes gouvernementaux (SODEC, Téléfilm Canada) et l’industrie (distributeurs, producteurs, cinéastes). Il a hypothéqué ses biens et sa santé pour maintenir le navire à flot. Il y laissera sa chemise, et aussi sa peau, s’il le faut.

Mais que l’on ne s’y trompe pas. Le FFM n’est pas mort. On pourra constater sa fin lorsque Serge Losique lui-même aura passé l’arme à gauche. Pas avant.