Tourné avec peu de moyens, complètement à l'extérieur du système institutionnel, Bluff a su attirer l'attention de quelques-unes des plus grandes vedettes du Québec. Marc-André Lavoie et Simon Olivier Fecteau, les deux cocréateurs du film, ont ainsi vu leurs fantasmes les plus fous se matérialiser. Au-delà même de leurs espérances.

Dans le monde du cinéma, les artisans qui choisissent de travailler conjointement derrière la caméra ont bien souvent tissé des liens intimes et personnels avant de se lancer dans cet exercice de haute voltige qu'est la réalisation d'un film. Marc-André Lavoie et Simon Olivier Fecteau ne sont pourtant pas frangins comme les Coen, Taviani, Dardenne et compagnie, ni amoureux comme Martineau et Ducastel. À vrai dire, les deux hommes se connaissent depuis un an et demi à peine. Mais ils se sont trouvés. Avec une telle évidence qu'ils ont maintenant l'intention de faire ensemble un bon bout de chemin.

«Dès notre première rencontre, une complicité très forte s'est établie, commente Fecteau, aussi la vedette de l'un des segments de Bluff. Cela ne faisait même pas trois heures que nous nous connaissions et nous avions déjà le sentiment que cette rencontre était importante. Il s'agissait d'un coup de foudre artistique comme on en éprouve rarement dans une vie.»

Cette association, qui découlait d'un intérêt commun après une soirée Prends ça court!, où ils présentaient chacun un court métrage, est survenue à un moment où les planètes étaient visiblement bien alignées.

Marc-André Lavoie, qui dirige une boîte de production avec son associé Jean-René Parenteau, avait en effet déjà décidé de placer tous les profits de l'entreprise dans un fonds qui servirait à financer son projet de film. De son côté, Simon Olivier Fecteau avait aussi mis quelques sous de côté afin de pouvoir s'offrir une année d'écriture après avoir quitté ses potes de Chick'n'Swell. En commun, un désir indéfectible de faire du cinéma. Tout de suite. Qu'importent les moyens, la manière, la visibilité, la distribution. Jamais n'auraient-ils d'ailleurs pu penser une seule seconde que leur projet prendrait de telles proportions. Encore aujourd'hui, ils ont du mal à y croire. Même en se pinçant très fort.

«Un rêve, cela n'a pas de prix, fait valoir Lavoie. Il était clair dès le départ que nous allions fabriquer ce film de façon complètement indépendante, avec un petit budget, sans passer par le circuit habituel des institutions. C'est la raison pour laquelle nous nous sommes lancés dans l'écriture de petites histoires différentes que nous pourrions tourner dans un seul et même lieu. On ne voulait pas plus de trois personnages par segment.»

Bluff relate ainsi l'histoire des différents locataires qui, au cours des 15 dernières années, ont occupé un appartement dans lequel un ouvrier vient de faire une découverte intrigante.

Les deux hommes coiffent aussi toutes les casquettes: ils coproduisent, coréalisent, coécrivent, signent conjointement le montage et la direction artistique. «Quand nous nous sommes présentés au magasin pour choisir les meubles de l'appartement dans lequel est campée l'intrigue, nous avions l'air du petit couple qui vient d'acheter sa première maison!» raconte Fecteau avec amusement. Lavoie agit par ailleurs aussi à titre de directeur de la photographie.

Une affiche prestigieuse

Sans grands moyens (300 000 $ ont quand même été investis dans cette entreprise), les deux artisans écrivent leur scénario en imaginant les meilleurs acteurs d'ici camper leurs personnages, histoire de simplement leur donner chair. «Cela dit, nous étions réalistes, indique Lavoie. L'idée de pouvoir réunir tous ces gens n'était évidemment pas envisageable. Pourquoi de grands acteurs accepteraient-ils de jouer dans le premier film de deux inconnus qui ne peuvent leur offrir autre chose qu'un cachet minimal?»

N'ayant rien à perdre, les deux hommes vont quand même frapper à la porte des agents de leurs interprètes de rêve afin de leur faire valoir le caractère sérieux de leur démarche. Sur la base du scénario, ils ont réussi à piquer leur curiosité. Rémy Girard a d'abord accepté de les rencontrer. Très vite, le mot s'est répandu. Leur inaccessible distribution s'est progressivement concrétisée. À l'arrivée, Bluff propose l'une des affiches les plus alléchantes de l'histoire du cinéma québécois: outre Rémy Girard et Simon Olivier Fecteau, la distribution comprend Emmanuel Bilodeau, Isabelle Blais, Raymond Bouchard, Nicolas Canuel, Ève Duranceau, David La Haye, Pierre-François Legendre, Alexis Martin, Marc Messier, Marie-Laurence Moreau, Jean-Philippe Pearson, Julie Perreault, Gilbert Sicotte et Denis Trudel. Le tournage s'est étalé sur une période de six mois, chaque segment étant élaboré de façon distincte.

«C'était très impressionnant, commente Lavoie, encore très admiratif. Ces grands comédiens sont aussi de grandes personnes. C'était beau de voir à quel point ils s'investissaient dans le projet, à quel point ils se mettaient au service du film. Je n'en reviens pas encore!»

Pour couronner le tout, le film n'était pas à moitié tourné que le Festival des films du monde le sélectionnait déjà pour lancer sa 31e présentation.

«La première fois où l'on nous a fait part de cette possibilité - c'était en janvier -, on s'est dit qu'il n'en était pas question! C'était beaucoup trop tôt; on ne savait même pas si on allait se rendre jusqu'au bout. Mais il y a des gens, Pierre Brousseau notamment (producteur délégué et distributeur), qui, déjà, croyaient au film plus que nous-mêmes», rappelle Fecteau.

«Et puis le FFM, c'est comme un rêve d'enfance, ajoute Lavoie. Il s'agit d'un festival que j'ai personnellement beaucoup fréquenté. J'ai même déjà eu le fantasme de voir un de mes films faire l'objet d'une présentation à la soirée d'ouverture. Mais je n'aurais jamais pu penser que cela arriverait dès le premier film!»

Plusieurs rêves ont été - ou seront - concrétisés cette année mais le plus important a trait au simple désir de faire du cinéma. Fecteau tourne des films depuis qu'il a reçu une caméra vidéo à l'âge de 10 ans. La vocation de Lavoie s'est par ailleurs affirmée il y a une dizaine d'années, au moment où, à l'âge de 21 ans, on lui a diagnostiqué un cancer. «Je me suis promis à l'époque que si je m'en sortais, je ferais du cinéma toute ma vie.»

Et cette promesse-là, ce n'est pas du bluff...

Bluff ouvre le 31e Festival des films du monde le 23 août. Il prend l'affiche en salle le 7 septembre.