Denis Villeneuve revient, dans Polytechnique, sur la dernière journée d'un bourreau et de ses victimes. Avec Karine Vanasse, il propose aux Québécois un film fait dans la sobriété et, selon la productrice et héroïne du drame, en toute humilité. Un film marquant pour les acteurs qui ont participé à sa conception.

«C'est le meilleur film que j'ai fait jusqu'à maintenant», dit, catégorique, Denis Villeneuve. De retour après huit années d'abstinence dans le monde du long métrage, le réalisateur d'Un 32 août sur terre et de Maelström défend, serein, Polytechnique. Un film en noir et blanc, né de la douleur, fait avec pudeur, et sorti, sinon discrètement, du moins avec le moins de tapage possible.

Polytechnique s'ouvre sur un quotidien banal, sur le point de disparaître. Dans les couloirs de l'école, les étudiants s'affairent autour des photocopieuses. Les coups de fusil tonnent. Ils ne meurent pas tous, mais tous sont frappés par celui que le spectateur devine, hors-champ, le tueur Marc Lépine.

«Le tueur est le moteur de l'action, le catalyseur, mais il n'est pas le personnage principal. Cela dit, il est présent dans le film, explique Villeneuve. On essaie de faire sentir comment le personnage allait, de faire sentir toute la charge de violence déployée dans l'école. On n'a pas cherché à expliquer le tueur.»

De Lépine, Polytechnique ne rappelle au spectateur que les écrits avant ses meurtres. «La lettre est un outil qui nous permet de rentrer dans la psyché du tueur. Cela donne un bon portrait du bonhomme: c'est quelqu'un qui est capable de bien s'exprimer, mais qui est en même temps en plein délire. C'était pour nous un rayon X de sa pensée», dit le réalisateur.

Dans la peau de Marc Lépine, Maxim Gaudette. Face à lui, une étudiante (Karine Vanasse), et un jeune homme brisé par un drame qui a duré 20 minutes et dont il a été le témoin impuissant (Sébastien Huberdeau). Le film suit ces personnages, ce fameux 6 décembre 1989, jusqu'à ce que leurs destins se croisent.

«L'idée, c'était de ne pas faire un film sur le point de vue féminin ou masculin, mais de mettre les deux à l'écran (...) Je ne voulais pas un couple, mais un homme et une femme qui portent chacun un vecteur de l'histoire», justifie Denis Villeneuve, qui met en scène le scénario de Jacques Davidts.

Polytechnique a finalement reçu le soutien et l'aval des familles des victimes. Villeneuve évoque la recherche effectuée pour l'écriture du film auprès de la police et des témoins de la tuerie. Pourtant, le film est vraiment devenu une oeuvre de fiction dès les premiers jours du tournage, dit le réalisateur.

«Le tournage a été difficile émotionnellement, mais aussi extrêmement stimulant créativement. La position de la caméra avait toujours un impact politique ou moral. Il y avait toujours un sens. Avec Pierre Gill (le directeur photo), on s'est vraiment creusé la tête pour avoir le regard juste.»

«Il n'y avait pas de volonté esthétique derrière le film, on était toujours dans le point de vue moral. C'a été très sain, c'est comme ça que je voulais faire du cinéma», dit Denis Villeneuve. Le noir et blanc ainsi que l'économie de mots, de même que la musique, participent, selon le réalisateur, du même souci de sobriété.

«C'est incroyable à quel point les outils du cinéma ont un sens moral ou politique. C'est vraiment la première fois que j'ai l'impression de faire du cinéma. La caméra, le son ont un impact majeur. Tout le temps: même la façon dont on a étalonné (l'image), on a essayé de rendre le noir et blanc le plus quotidien possible, humble. On recherchait l'humilité dans l'ensemble du film. On voulait faire les plans les plus sobres possibles.»

Denis Villeneuve se dit conscient des objections que pourrait soulever le film. «Ce que je veux faire, c'est provoquer le débat. J'avais tellement aimé La haine, de Mathieu Kassovitz, un film ancré dans sa société, mais avec une portée universelle. Ce n'est pas du cinéma pour faire du cinéma (...) j'adore que le cinéma soit capable de prendre une distance poétique avec la réalité», dit-il.

Avec ce premier film consacré au drame du 6 décembre 1989, Denis Villeneuve espère apporter «un geste de consolation» sur les vies et les mémoires brisées ce jour-là. «Dans Polytechnique, le tueur a blessé les femmes, et le Québec au complet: les hommes et les femmes, en général, constate-t-il. On ne peut pas se consoler d'un truc pareil, mais on peut peut-être garder espoir dans une certaine forme d'humanité.»

Entre les murs

Face à la presse, Karine Vanasse rayonne. Comédienne et productrice de Polytechnique, aux côtés de Maxime Rémillard, de Remstar, elle confie: «Ça fait quatre ans qu'on travaille sur le film. Jamais je n'avais eu un projet qui me tenait autant à coeur, et qui provoque de telles expériences humaines.»

La sortie prochaine du film Polytechnique, inspiré par un sujet dramatique, réalisé avec la collaboration de proches des victimes, soulève des questions voire des irritations. Sereine, à l'instar de Denis Villeneuve, Karine Vanasse affirme: «Nos intentions ne pouvaient pas être plus honnêtes et plus sincères.»

Son visage orne l'affiche du film. Aux côtés de Sébastien Huberdeau (JF), Karine Vanasse joue une jeune femme, Valérie, qui perdra bien des illusions le 6 décembre. «À Polytechnique, on ne faisait pas la différence entre les gars et les filles, raconte Karine Vanasse. Les cours étaient difficiles, mais tous étaient ensemble. La division entre les hommes et les femmes n'existait pas.»

Valérie comme JF sont des personnages fictifs, certes, mais inspirés par les étudiants et les étudiantes de Poly. «JF est la représentation de l'impuissance devant le drame et de la douleur qui en découle. On découvre l'ampleur du carnage à travers son regard», dit Sébastien Huberdeau.

Maxim Gaudette se glisse, dans Polytechnique, dans la peau d'un personnage «connu mais inconnu», Marc Lépine, l'auteur de la tuerie. «Les témoins parlent de lui comme de quelqu'un qui était absent, qui avait le regard vide, qui semblait déconnecté de ce qu'il allait accomplir. Il était comme en mission, mais il était aussi troublé», dit le comédien.

Maxim Gaudette traverse le film de Denis Villeneuve, sans paroles, le fusil presque toujours à la main. «Je savais que ça devait être un homme troublé, mais je ne pouvais pas m'imaginer à quel point jusqu'à ce que je tire avec cette arme.»

«Je jouais avec des bouchons dans les oreilles. Marc Lépine a tiré une soixantaine de coups: chaque coup produit un son terrorisant. Il est entré dans une folie meurtrière, mais je pense qu'il ne devait plus rien entendre.»

Toutefois, conformément au souhait de Denis Villeneuve et du scénariste Jacques Davidts, le film n'insiste pas sur le personnage du tueur. «On essayait de ne pas en faire un fou, un maniaque. Il y a une retenue, une intériorité et une sobriété à trouver. Le personnage est cela au fond: un mélange de sobriété, de retenue et de violence.»

Du plateau de tournage, Karine Vanasse se souvient de l'ambiance sensible, prenante. «En tant qu'actrice, je voulais m'assurer d'être sobre, je ne cherchais pas à être bonne: l'ego ne pouvait pas être là, jamais. Dès que quelqu'un faisait ça, on s'en rendait compte et ça ne marchait pas», dit la jeune femme.

Vanasse, Huberdeau et Gaudette défendent avec sincérité semble-t-il le film de Denis Villeneuve. «Denis a pris le parti de faire un film artistique sur quelque chose d'affreux», dit Sébastien Huberdeau. «Le film est touchant, l'événement parle pour lui-même: il n'y a ni fioritures ni excès», soutient de son côté Maxim Gaudette.

Polytechnique
prend l'affiche vendredi le 6 février.