«De l'argent jeté par les fenêtres.» Selon le père des Contes pour tous, Rock Demers, les activités de speed dating nouveau genre, organisées par Téléfilm Canada et la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) pour permettre aux producteurs d'ici de rencontrer leurs confrères étrangers, sont inutiles et ne constituent pas une méthode efficace pour conclure des ententes de coproduction avec d'autres pays.

Or, depuis quelques années, Téléfilm et la SODEC jouent les Cupidon en multipliant ces activités de réseautage, notamment à l'occasion du Cinéma du Québec à Paris, à Cannes, à Sundance ou encore à Namur. Les organismes profitent de ces moments pour provoquer des rencontres et des discussions entre des producteurs d'ici et d'ailleurs dans l'espoir de voir se conclure des ententes de collaboration. Mais celui à qui l'on doit notamment les légendaires Bach et bottine, La guerre des tuques et Opération beurre de pinottes dénonce ce genre d'initiatives.

Et Rock Demers connaît bien le dossier. Au cours des 25 dernières années, il a signé des ententes de coproductions avec des partenaires en Asie, en Amérique du Sud et en Europe. Il a donc profité d'une table ronde portant sur le sujet la semaine dernière au congrès de l'Association des producteurs de films et de télévision du Québec (APFTQ) pour critiquer les activités de speed dating organisées et valorisées par les deux principaux organismes qui financent le cinéma au pays.

«Les activités de réseautage avec des producteurs étrangers, c'est de l'argent dépensé à peu près inutilement, a soutenu M. Demers à la suite de son intervention devant ses collègues. Les gens ont beau se rencontrer et faire connaissance, s'il n'y a pas de projet concret, ça ne donne rien. On serait mieux de garder notre argent pour investir directement en coproduction.»

Il estime que la meilleure façon de donner un coup de pouce aux producteurs serait de les aider financièrement lorsqu'ils partent, avec un projet en main, à la recherche d'un partenaire français ou allemand, par exemple. «Les institutions seraient mieux de donner 1500$ pour payer le billet d'avion d'un producteur qui souhaite conclure une entente avec un collègue de Londres», illustre-t-il.

M. Demers raconte d'ailleurs que, pour concrétiser son projet de film Fierro... l'été des secrets, il s'est envolé pour Buenos Aires, en Argentine. Au bout de quelques jours là-bas, il a réussi à dénicher un coproducteur.

Efficace, selon Téléfilm

Interrogé à ce sujet en marge du congrès de l'APFTQ, le président et chef de direction de la SODEC, François Macerola, s'est dit en partie d'accord avec les propos tenus par Rock Demers. «Je ne suis pas loin de penser ce que Rock pense, affirme-t-il. Je ne suis pas sûr que tous ces speed dating ne sont pas que des gadgets. Une coproduction, c'est une opération qui prend beaucoup de temps. Ça se fait avec des affinités culturelles, des affinités de création, des affinités individuelles. C'est rare que tu tombes amoureux en deux minutes. Et quand tu tombes amoureux en deux minutes, ça ne dure pas longtemps.»

Dans ce cas, pourquoi la SODEC met-elle sur pied ce genre de rencontres? M. Macerola précise que, lorsque la Société de développement organise des rencontres, elle invite les producteurs qui ont déjà en main des projets concrets.

Du côté de Téléfilm Canada, on croit en l'importance du speed dating. «Pour nous, les activités de développement des marchés à l'international sont efficaces et ont un impact fort positif pour l'industrie, mentionne la porte-parole de Téléfilm, Eva Hartling. Nous croyons que les chiffres parlent d'eux-mêmes: comme nous l'avons cité dans le dernier rapport sur les marchés internationaux (publié en 2008), chaque dollar investi par Téléfilm dans le cadre des marchés internationaux a permis aux entreprises de réaliser 11$ de ventes. C'est un effet de levier fort efficace, à notre avis.»

Le producteur Pierre Even, qui avait au départ envisagé de faire C.R.A.Z.Y. en collaboration avec un partenaire étranger, a une opinion plus nuancée à propos du réseautage. S'il ne participe plus à ce genre de rencontres, il souligne néanmoins qu'elles lui ont été fort utiles lorsqu'il en était à ses débuts et qu'il connaissait peu de gens dans le milieu. «Mais je pense qu'il pourrait y avoir d'autres mécanismes pour aider les producteurs», conclut-il.