Le réalisateur des Valseuses a toujours aimé chatouiller sa fibre provocante, mais son nouveau film, en forme de trompe-la-mort, est d'une étonnante sérénité. Jean Dujardin et Albert Dupontel se confrontent sur un sujet encore tabou: le cancer.

Le synopsis du plus récent film de Bertrand Blier ne pourrait être plus sibyllin. Ni plus troublant. C'est l'histoire d'un homme qui reçoit la visite de son cancer. «Bonjour, je suis votre cancer, dit-il. Je me suis dit que ce serait peut-être pas mal de faire un petit peu connaissance.»

Dans Le bruit des glaçons, un type «avec une tête de cancer» (Albert Dupontel) débarque inopinément dans la vie d'un écrivain de 40 ans (Jean Dujardin) qui a troqué la plume pour la bouteille. Fidèle à sa manière, l'auteur cinéaste y manie l'humour noir avec une grande maîtrise, à la différence que son nouveau film, malgré un sujet qui fait peur, est peut-être moins désespéré que les autres.

Préoccupation d'un homme mûr qui a entamé sa huitième décennie d'existence? Pas tout à fait. L'idée de ce film remonte en effet à bien loin, à l'époque où Gérard Depardieu s'exhibait en slip léopard devant Michel Blanc dans Tenue de soirée. C'était il y a 25 ans.

«Cela m'arrive très souvent, a révélé Bertrand Blier au cours d'un entretien accordé à La Presse au début de l'année. Je trouve une réplique sur laquelle je peux construire une histoire et, bien souvent, je la range ensuite dans mes tiroirs. J'ai souvent pensé à l'idée de départ du Bruit des glaçons pour un film, mais je n'ai jamais osé la développer. Je trouvais cela trop risqué, trop casse-gueule. J'avais la trouille, en fait. Puis j'ai vécu une espèce de passage à vide pendant lequel je me suis dit que je n'avais plus rien à perdre. J'ai plongé. Et j'ai écrit ce scénario les doigts dans le nez!»

Un combat intérieur

Le cancer sert ici de prétexte à orchestrer le combat intérieur d'un homme. Lauréat du Goncourt, Charles, le personnage qu'incarne Dujardin, n'a pas écrit la moindre ligne depuis longtemps. Il se réfugie d'autant plus dans l'alcool que sa femme l'a quitté avec son fils. Seule la dévouée gouvernante Louisa (Anna Alvaro, dans un rôle qui lui a valu le César du meilleur second rôle féminin) pose encore un regard bienveillant sur ce type qui s'enfonce dans la déchéance.

«La raison pour laquelle j'ai voulu faire ce film réside dans cette relation entre Louisa et Charles, explique l'auteur cinéaste. Je suis bouleversé par le regard que pose cette femme mûre sur un homme d'une telle beauté. Il y a quelque chose de presque religieux. Sans cette scène où elle le ramasse avec une infinie tendresse alors qu'il est complètement défait, je ne me serais probablement pas autant battu pour faire ce film.»

Issu d'une famille d'acteurs (il est le fils du célèbre Bernard Blier), Bertrand Blier a toujours placé les interprètes au centre de sa démarche.

«Je suis arrivé dans ce métier à une époque où les cinéastes regardaient encore dans l'oeilleton de la caméra plutôt qu'un écran vidéo placé loin derrière les comédiens. Il se créait alors une intimité qui ne peut exister autrement, et que personne d'autre ne pouvait déceler. Quand Delon sait que tu le regardes, il fera tout pour te séduire, au-delà des sexes et des orientations des uns et des autres. Parce que c'est une bête de séduction. Maintenant, ce rapport intime entre les acteurs et les cinéastes a beaucoup changé à cause de la technique.»

Un nouveau duo

S'il pense automatiquement à Gérard Depardieu quand vient le moment de distribuer les rôles, Bertrand Blier s'est quand même tourné vers deux acteurs plus jeunes pour former son duo.

«Avec Patrick Dewaere, disparu trop tôt, Gérard est mon alter ego, rappelle-t-il. Mais il a pris un chemin différent du mien. Il n'a plus les emplois qu'il devrait avoir parce qu'il s'est laissé envahir par son volume, ses excès physiques. Et son emploi du temps est très compliqué.

«Je me suis spontanément tourné vers Dujardin, car je trouvais que ce mec avait affiché un grand potentiel dramatique dans Contre-enquête. Il est aussi doté d'un charisme formidable. Vous savez, c'est très agréable de filmer un bel homme, même quand on est hétéro!

«Quant à Dupontel, avec qui j'avais déjà travaillé pour Les acteurs, je savais qu'il serait parfait dans le rôle du cancer. Cela relevait de l'évidence parce qu'il peut être habité d'une vraie folie.»

S'il affirme ne pas entretenir le souvenir de ses films passés, l'auteur cinéaste, dont la filmographie compte notamment Les valseuses, Préparez vos mouchoirs, Buffet froid, Beau-père et Trop belle pour toi, éprouve néanmoins une tendresse particulière pour les films «ratés». Ou plus «mal aimés».

«Je pense très rarement à mes plus vieux films, sinon pour faire attention à ne pas refaire les mêmes choses. Pendant très longtemps, l'auteur en moi a dominé et ne faisait que filmer le scénario. Depuis Trop belle pour toi, le metteur en scène que j'ai appris à être est venu rééquilibrer les choses un peu. Maintenant, j'écris un scénario pour faire un film. Ce n'est pas tout à fait pareil.»

Le bruit des glaçons prend l'affiche le 22 avril. Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.