Imaginez un monde où les mères seraient parfaites, les bébés servis dans des choux et la vie régie à coups de clics photographiques. Bienvenue dans l’univers dystopique de Mothers and Monsters, un court métrage complètement décalé réalisé par Édith Jorisch, présenté en première québécoise vendredi dans le cadre du Festival du Nouveau Cinéma.

Après avoir exploré les questions de l’identité (L’héritier) puis de la migration (Tibbits Hill), Édith Jorisch plonge ici dans un énième sujet existentiel : la maternité. Attention, pas comme on pourrait s’y attendre, mais plutôt de façon franchement surréaliste et satirique, oscillant entre légèreté et lourdeur, beauté et laideur, pour carrément frôler l’absurde et l’horreur.

Non, elle n’a pas d’enfants, précise d’emblée la jeune réalisatrice, qui se questionne tout de même beaucoup sur le sujet – « comment faire coexister la vie de femme réalisatrice avec des enfants », « comment exister comme mère, sans que ce soit uniquement à travers la maternité ? » –, rencontrée chez elle, étrange coïncidence, à quelques maisons à peine de l’endroit où l’autrice de ces lignes a elle-même eu son premier bébé. Fin de la ressemblance (Dieu merci !).

Pour résumer : son récit se déroule ici autour d’un banquet, où sept femmes élégantes et tout sourire sont attablées. Elles reçoivent tour à tour et dans la joie un chou sous une cloche, dans lequel se cache un bébé. Toutes, sauf une, interprétée ici par une convaincante Mylène Mackay, qui ne dira pas un mot du film, mais dont les yeux en diront très long.

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Dans Mothers and Monsters, les bébés naissent dans les choux.

Il faut dire que dans cette satire d’une quinzaine de minutes, les enfants sont en outre élevés par des nannies et littéralement nourris aux jeux vidéo. On ne vous vendra pas la mèche, mais sachez que l’usine souterraine où ces fameux choux sont fabriqués est autrement moins chic. Ah oui, il n’y a pas non plus le moindre dialogue et le climat demeure sombre et inconfortable du début à la quasi toute fin.

C’est en lisant Les retranchées, de Fanny Britt, puis un article du New York Times (« Where Are All The Nannies on Instagram ? ») qu’est née l’idée pour le moins originale de ce scénario.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Édith Jorisch

La question de la maternité à l’ère de la surconsommation et de la représentation sur Instagram, ça m’a vraiment allumée.

Édith Jorisch, réalisatrice

Qui sont ces femmes qui élèvent les enfants des autres ? Qui connaît leur histoire ? Où sont-elles sur les réseaux sociaux ?

Dans l’univers imaginé par Édith Jorisch, les femmes privilégiées ont désormais des enfants sans effort et sans le moindre sacrifice. « Les femmes privilégiées par leur classe sociale et leur beauté n’ont pas besoin de porter leur enfant, ni d’accoucher, ni d’allaiter », résume celle qui s’est ici largement inspirée d’Instagram, on l’aura compris, dans son esthétique, sans laisser le moindre détail au hasard.

Après une première mondiale au Festival international du film de Toronto, Mothers and Monsters a en outre été sélectionné à Vancouver (VIFF) et, à la grande surprise d’Édith Jorisch, à Sitges, en Espagne. « Je n’ai jamais pensé que je faisais un film de genre, dit-elle, mes références sont plutôt surréalistes et fantastiques, mais effectivement, j’ai été sélectionnée à Sitges, le plus gros festival de film de genre ! »

Son style, une esthétique bien particulière, et un climat dérangeant, la réalisatrice laissant volontairement planer un certain malaise, n’y sont certainement pas étrangers. « Je ne donne pas les clés à toutes les questions. Je ne prends pas le spectateur par la main. Il y a beaucoup de symboles et je laisse la liberté au spectateur de décoder », confirme-t-elle.

Et puis Édith Jorisch ne le cache pas : « J’aime créer des œuvres qui peuvent être déstabilisantes. C’est l’effet que ça me fait, moi, la représentation des mères sur les réseaux sociaux. Et l’authenticité, dans tout ça ? Qu’est-ce qui se cache derrière ces mises en scène spectaculaires ? ». Sa réponse : dans le film.

Mothers and Monsters est présenté au FNC le vendredi 6 octobre à 19 h et le dimanche 8 octobre à 19 h à la Cinémathèque québécoise.

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