Le nouveau film de Denys Arcand n’est pas encore sorti en salle qu’il a déjà commencé à faire jaser. Dépassé ou rafraîchissant ? Cynisme ou satire ? Nos deux journalistes, l’une de la génération Z et l’autre de la génération des baby-boomers, ont vu Testament et font part ici de leurs points de vue. Dialogue intergénérationnel sur le film-évènement québécois de l’année.

Synopsis

Jean-Michel Bouchard (Rémy Girard), un archiviste septuagénaire vivant dans une maison de retraite, se trouve mêlé à une controverse liée à une fresque jugée offensante pour les Autochtones par de jeunes millitants.

Luc Boulanger : Testament n’est certes pas le meilleur film de Denys Arcand. Mais j’ai trouvé ça rafraîchissant de voir un artiste aborder les dérives et les contradictions de la société actuelle. Avec humour et sarcasme. Et toi, Audrey-Anne, tu en as pensé quoi ?

Audrey-Anne Blais : Je me suis demandé ce que je venais de voir en sortant de la salle. Denys Arcand est toujours aussi cynique, mais surtout, de plus en plus réactionnaire. Ce film donne des munitions à ceux qui pensent qu’ils ne peuvent « plus rien dire », à coup de représentations grotesques de dizaines d’enjeux sociaux…

L. B. : C’est une satire. Arcand caricature tout le monde : des jeunes wokes aux vieux péquistes, en passant par les artistes, les féministes, les journalistes… Est-ce que votre génération aurait perdu le sens de l’humour ?

A.-A. B : Sache que certaines scènes m’ont arraché un rire ! C’est effectivement une satire. Mais faire dans la satire n’est pas gage de pertinence. Ta génération dénonce fréquemment les chambres d’échos. Il me semble que Testament risque d’avoir l’effet d’une chambre d’échos pour les boomers. La conversation intergénérationnelle ne sera pas nourrie par des blagues simplistes sur le mot « autrice » ou l’identité de genre.

L. B. : Tu dis qu’Arcand devient de plus en plus réactionnaire en vieillissant. C’est drôle, car je trouve qu’il fait l’objet du mépris et de la condescendance de l’élite culturelle depuis quelques années. Comme si, dans certains cénacles, détester le nouveau film d’Arcand était devenu un sport national ! Malgré cela, le cinéaste a attiré 52 journalistes accrédités au visionnement de presse de Testament. Il y a juste Céline Dion qui peut attirer autant de médias un lundi matin ! Arcand fait un cinéma d’auteur populaire et on lui reproche sa popularité.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Le réalisateur Denys Arcand, lors du visionnement de presse de Testament

A.-A. B. : De toute évidence, son cinéma suscite toujours un grand intérêt. C’est tout de même décevant qu’un artiste qui s’est attaqué au conservatisme (avec Le confort et l’indifférence, par exemple) en soit là dans son discours. J’ai l’impression qu’en présentant un tel cynisme à l’égard des mouvements collectifs en général, il se place au-dessus de la mêlée et se campe dans une position individualiste.

L. B. : Tu trouves ça triste ?

A.-A. B. : Très. Et injuste, aussi. Denys Arcand ne côtoie certainement pas beaucoup de militants Z pour les percevoir ainsi. Les jeunes bougent, s’organisent et réfléchissent, surtout. Et il ne doit pas oublier que chaque génération nouvelle est descendue dans la rue pour manifester, à sa façon. L’écoute doit venir des deux bords.

L. B. : D’accord. Mais la génération d’Arcand et la mienne, les boomers, nous avons l’impression que certains jeunes militants veulent effacer le passé au complet. D’ailleurs, dans le film, ils demandent la disparition d’une fresque peinte au XIXe siècle qui représente Jacques Cartier avec des Mohawks. Le protagoniste, un archiviste joué par Rémy Girard, explique l’importance pour les humains de laisser des traces de leur passage. Des papyrus aux publications Instagram et Facebook, en passant par le désir de reproduction, tout le monde veut laisser sa trace…

PHOTO FOURNIE PAR TVA FILMS

Rémy Girard incarne le personnage principal de Testament.

A.-A. B. : Tout à fait. Mais à une époque où on a justement besoin de retrouver le sens de la mesure, ça aurait été judicieux de s’intéresser aux dérapages des extrêmes avec nuance, plutôt que de tout ridiculiser dans une enfilade de sketchs. Je crois que c’est normal de se sentir dépassé en vieillissant, surtout en cette ère de l’instantanéité dans laquelle on assimile énormément de concepts rapidement.

L. B. : Justement, j’entends souvent dire qu’Arcand est dépassé, qu’il ne vit pas dans le présent. Ce qui n’est pas une tare pour un historien (rires). Or Arcand, qui a débuté à l’ONF en réalisant des documentaires sur Champlain et la fondation de Ville-Marie [Les Montréalistes], observe sans doute un phénomène qui m’inquiète : les jeunes s’intéressent de moins en moins à l’histoire, aux icônes des générations précédentes. Il faut savoir d’où l’on vient, pour savoir où l’on va.

A.-A. B. : Mais les « jeunes militants wokes » ne constituent pas non plus un bloc monolithique en mission pour effacer l’histoire. La preuve : le diorama qui a inspiré Arcand au Musée d’histoire naturelle de New York – une représentation de la rencontre entre un dirigeant néerlandais et une délégation autochtone en 1660 – a été conservé, mais mis en contexte pour sensibiliser les visiteurs. N’est-ce pas un signe d’intérêt pour le passé ?

Lisez un texte sur le diorama au Musée d’histoire naturelle de New York (en anglais)

IMAGE TIRÉE DU SITE DU MUSÉE D’HISTOIRE NATURELLE DE NEW YORK

Le diorama du Musée d’histoire naturelle de New York, après modifications par le conservateur du département d’anthropologie

L. B. : Corriger oui, effacer non. Je crois que c’est légitime de souligner des inexactitudes et des stéréotypes anciens. Au lieu de vouloir effacer le passé, on peut l’expliquer, le mettre en contexte… Comme dit le conservateur du musée new-yorkais : « Il ne faut pas oublier l’Histoire, sinon on oublie aussi l’histoire de l’oppression. »

A.-A. B. : On s’entend sur ce point. Mais le film ne plaira pas à la majorité des gens de ma génération. Denys Arcand peut bien être perplexe par rapport à l’évolution des mœurs, mais ce n’est pas avec Testament qu’il va bâtir un pont entre les jeunes et les aînés.

L. B. : Dommage. Pour que la société évolue – et non implose, comme le laisse présager Testament et l’air du temps –, il faut avoir une vraie conversation ensemble. Peu importe son âge et son bagage. Comme on le fait ici.

Testament : à l’affiche partout au Québec, dès le 5 octobre. Le film sortira aussi en France le 22 novembre.