Comment se peut-il que certaines communautés autochtones soient à ce jour encore et toujours privées d’un truc aussi essentiel et vital que l’eau potable ?

C’est la question aussi simple que profondément dérangeante à l’origine de La source d’un échec, un documentaire éclairant présenté samedi prochain dans le cadre de Doc humanité, sur les ondes d’ICI Télé.

Pensez-y. Ou plutôt non, puisqu’on n’y pense même pas. Pour la quasi-totalité d’entre nous, cela va de soi. L’eau, on la consomme machinalement, au réveil, sous la douche, pour se brosser les dents ou préparer le café. Jour après jour. Ce qui n’est pas le cas de nombreux autochtones au pays qui vivent encore dans des conditions quasi moyenâgeuses.

Un sujet malheureusement loin d’être nouveau, porté ici par la journaliste de Radio-Canada Nassima Way, qui y pose néanmoins un regard frais et non moins critique. Née à Alger de parents marocains, élevée en France, la journaliste habite au Canada depuis 20 ans, à Calgary, plus précisément. Et depuis qu’elle a mis les pieds ici, les questions autochtones la fascinent. « La culture, les conditions de vie », précise en entrevue celle qui a en outre des origines berbères.

PHOTO FOURNIE PAR RADIO-CANADA

Une scène du documentaire

« Pour moi, c’est incompréhensible, explique-t-elle de sa voix douce, qui habite aussi tout le reportage, réalisé par Jessica L’Heureux. Le Canada est un pays moderne, quand même. Comment peut-on avoir des personnes qui demandent un accès à l’eau potable ici ? La seule fois que j’ai entendu ça, c’est quand j’étais en vacances en Algérie ! »

Est-ce un problème d’infrastructures ? De tuyauterie ? Dans l’un des plus riches pays du monde, possédant 20 % des réserves d’eau douce de surcroît ? La journaliste a voulu savoir, et part donc, pendant les 40 minutes du documentaire, en quête des sources (sans jeu de mots) du problème.

« Dénoncer les injustices »

On la voit se rendre à la rencontre de personnalités de différentes communautés (dont une à 10 minutes du centre-ville de Calgary à peine, privée néanmoins d’eau courante potable), interroger une chercheuse universitaire, discuter avec un avocat innu spécialiste en droits autochtones, même rencontrer l’ex-ministre des Relations Couronne-Autochtones Marc Miller, à Ottawa. Il faut l’entendre parler du « mythe colonial » et de ses « effets néfastes sur les communautés autochtones ».

La surprise de la journaliste – et surtout ses émotions – est d’ailleurs palpable. « Il y a des mères qui n’ont jamais donné de bain à leurs enfants ! »

C’est un peu ça, notre rôle de journaliste : dénoncer les injustices. Quand on en voit, et celle-là vient de si loin, cela suscite des émotions. Mais comment est-ce qu’on en est arrivé là ? Il faut revenir en arrière : il y a eu des décennies de laisser-aller, on a été des décennies à ignorer le problème, des décennies à fermer les yeux.

Nassima Way, journaliste à Radio-Canada

Parce que selon ses recherches, et plusieurs autochtones interrogés, c’est très clair : « Leur impression, dit-elle, c’est que l’espoir des autorités publiques de l’époque, c’était que ces personnes quitteraient leurs communautés pour aller vivre dans des villes. » Quelle époque, au juste ? « Jusqu’en 2000… »

« Et j’espère que les gens vont comprendre : ce n’est pas eux [les autochtones] qui ont créé ça. […] Au niveau des traités, on leur a fait des promesses qui n’ont pas été tenues. »

Elle ose cette question très dure : en les privant ainsi d’une telle ressource de base, « est-ce qu’on les a voués à l’échec » ? Elle y répond en entrevue sans hésiter : « Oui, c’est dur, et je suis encore émue, confirme-t-elle, parce que ce n’est pas normal que je puisse avoir de l’eau potable chez moi et qu’il y ait des personnes pour qui c’est une quête quotidienne. »

À noter que vous ne verrez que peu d’images d’eau brune qui coule du robinet à profusion. « Les autochtones ne voulaient pas qu’on montre une image misérabiliste de leur communauté », précise-t-elle, saluant au passage leur calme et leur dignité.

D’ailleurs, et même si elle conclut avec une « boule au ventre », Nassima Way garde espoir. Certaines communautés sont très reculées et leur développement sera ardu. « Mais il y en a qui sont proches, vibrantes, avec une nouvelle génération de jeunes qui travaillent fort pour faire fructifier leur communauté, économiquement, socialement et… sanitairement. »

Doc humanité, samedi à 22 h 30 sur ICI Télé et sur ICI Tou.tv